David Fray vient de confirmer une fois de plus - et cette fois dans Bach, le test suprême - notre position exprimée lors du Concours de Montréal de 2004.

Manifestement plus impressionné par la virtuosité tapageuse que par la musicalité raffinée, le jury avait alors décerné le premier prix à Serhiy Salov et relégué David Fray au second rang. Salov s'est révélé, depuis, grand musicien autant que grand technicien. Cela, on le sait. Ce qu'on regrette, c'est que des personnes responsables aient ignoré les profondes qualités de musicien que Fray possédait déjà, il y a 10 ans, et qui faisaient de lui le véritable grand lauréat.

À un mois de ses 33 ans, l'élégant jeune pianiste français nous revenait mercredi soir pour un récital Bach comprenant deux grandes Toccatas et deux grandes Partitas. Rien d'autre sur l'affiche. Au total: une heure de musique. Malgré la perspective d'une soirée des plus sévères - ou peut-être à cause de cela! -, les 444 sièges de la salle Bourgie étaient tous occupés. Le pianiste avait d'abord annoncé des extraits du Clavier bien tempéré et modifia ensuite son programme. Comme remplacement, nous aurions préféré le Concerto italien ou la Fantaisie chromatique et Fugue, mais il en a décidé autrement.

David Fray joue Bach le dos courbé sur son clavier, le visage caché par une épaisse chevelure: on dirait... you know who, le défunt pianiste torontois considéré, principalement en France, comme «spécialiste» du Cantor. Dieu soit loué, la ressemblance s'arrête là.

Fray transpose au grand piano moderne cette musique conçue pour le clavecin. Jamais il ne cherche à imiter ou même à suggérer le petit instrument à cordes pincées. Cette musique, il en reproduit parfaitement la lumineuse clarté polyphonique et l'imperturbable régularité, tout en la traduisant en langage pianistique, c'est-à-dire avec des phrasés, des dynamiques, des plans sonores, voire des couleurs, qui sont impossibles à obtenir au clavecin.

Avec beaucoup de goût et de discernement, en évitant surtout le genre «big piano» d'un Horowitz, par exemple, David Fray dépasse l'instrument et va à l'essentiel: il rejoint la pensée de Bach et nous la livre dans une nouvelle grandeur.

Faut-il préciser que le pianiste avait mémorisé ces milliers de notes et qu'il n'en a raté aucune?... Il souligne bien la différence de caractère entre une courante et une sarabande, mais, fort étrangement, n'ornemente à peu près pas les reprises, qu'il fait pourtant toutes, sans exception. Pourquoi, aussi, cette légère accélération en terminant la pièce d'entrée de la Partita en do mineur?

Enfin, de plus puristes que nous lui reprocheront d'avoir flirté occasionnellement avec une certaine esthétique «romantique» sévèrement condamnée en certains milieux et d'avoir choisi comme rappel la transcription de Busoni du choral Nun Komm, der Heiden Heiland, BWV 61, titre qui se traduit ainsi: Viens maintenant, Sauveur des païens.

DAVID FRAY, pianiste. Mercredi soir, salle Bourgie du Musée des beaux-arts.

Programme consacré à J. S. Bach:

Toccata en mi mineur, BWV 914 (c. 1710)

Partita en mi mineur, BWV 830 (1731)

Toccata en do mineur, BWV 911 (c. 1720)

Partita en do mineur, BWV 826 (1727)