Parmi les pianistes en vue de sa génération, le Français David Fray fait figure d'exception. Peu porté sur le spectacle, le glamour et les tournées internationales, il privilégie une vie d'artiste basée sur la réflexion. Il revient à Montréal pour la première fois depuis 2008, dans un récital consacré aux oeuvres de Jean-Sébastien Bach. La Presse s'est entretenue avec lui au téléphone.

On lui demande d'abord pourquoi ses visites chez nous se font si rares alors que sa carrière en Europe est remarquable.

«Je ne fais pas énormément de tournées; ni de disques, d'ailleurs. Je ne suis pas pressé; j'aime prendre le temps de bien faire les choses. Tout ce que je veux, c'est une vie de musicien sereine et équilibrée. Il ne faut pas se laisser prendre dans une spirale et passer sa vie dans les avions, les hôtels et sur les scènes. Le concert est important, mais ce qui l'est encore plus, c'est ce qui se passe avant. Il faut se ménager des espaces de réflexion et de travail réel.»

Il y a 10 ans, il a terminé deuxième au Concours musical international de Montréal. Il avait 23 ans. Loin d'être déçu de cette place, il en était ravi.

«Je trouvais que deuxième, c'était mieux que premier. Pour moi, c'était un résultat satisfaisant qui évitait de me mettre trop de pression sur les épaules. En plus, c'est grâce à cela que j'ai fait mon premier disque.»

Deux ans plus tard, en 2006, il triomphait à Paris en remplaçant Hélène Grimaud au pied levé et signait un contrat d'exclusivité avec Virgin Classics.

Bach au piano

Au programme du récital de mercredi prochain: le premier livre du Clavier bien tempéré, la Partita no 2 et les Toccatas en mi mineur et en do mineur, BWV 914 et 911.

Quand il parle du Cantor de Leipzig, David Fray est intarissable.

«La place de Bach dans ma vie de musicien a été centrale depuis le départ. Mais pendant longtemps, ce n'était pas évident pour moi de l'inscrire au programme de mes concerts. Je n'osais pas. Je n'étais pas satisfait du résultat, si tant est que je le sois même aujourd'hui. Mais j'ai décidé de me jeter à l'eau il y a quelques années.»

Le cinéaste Bruno Monsaingeon, bien connu pour ses portraits de musiciens, a tourné en 2008 un documentaire sur le pianiste, Swing, Sing and Think, où l'on assiste à des séances d'enregistrement avec la Philharmonie allemande de chambre de Brême, que Fray dirige du piano. Dans le film, on est frappé par la précision et la clarté de ses décisions musicales.

«C'est un devoir de l'interprète que d'avoir une idée claire et d'être capable de la justifier, dit-il. Mon interprétation idéale de Bach est celle qui concilie le lyrisme et la poésie à une vraie pensée structurelle et à une certaine faculté d'abstraction. Il est difficile d'avoir une interprétation lyrique qui soit, en même temps, intellectuellement solide et bien construite. Chez Bach, plus que chez tout autre compositeur, il faut concilier la tête et le coeur.»

Cette posture d'équilibriste est plus ou moins facilitée par les instruments que le sort lui réserve au hasard des salles de concert.

«Parce que la musique de Bach n'a pas été écrite pour le piano moderne, le résultat dépend beaucoup de l'instrument à ma disposition. Si vous jouez une musique spécifiquement pianistique, vous allez vous adapter plus facilement aux différents pianos. Pour Bach, c'est plus compliqué. Il faut un instrument avec des caractéristiques bien précises.»

«J'aime un piano suffisamment "coloré" mais qui ne possède pas une richesse harmonique trop envahissante et ne sonne pas trop romantique, poursuit-il. Il faut aussi qu'il possède une certaine flexibilité mécanique, car, selon que l'on joue du Schumann ou du Bach, même l'enfoncement de la touche est différent. En même temps, je suis conscient que c'est mon travail de m'adapter. Quand c'est possible, je travaille avec le technicien, sur place, pour me rapprocher de ce que je souhaite.»

À la Salle Bourgie le 16 avril, 19 h 30.