En 2013, lors de la mort du président Hugo Chavez, Gustavo Dudamel s'est envolé en catastrophe pour sa patrie après avoir dirigé à Los Angeles la première de l'oratorio de John Adams, The Gospel according to the Other Mary. Il s'est fait remplacer par un autre chef pour la seconde présentation de l'oeuvre.

La raison: à Caracas, il devait diriger l'Orchestre symphonique Simón Bolívar aux funérailles du président. Cette décision lui a valu d'être critiqué par les opposants au régime.

Depuis sa fondation, El Sistema a toujours été apolitique. Mais plusieurs ont vu dans cette décision du maestro une caution politique envers Chavez, un chef d'État qui a été à la fois adulé, détesté et diabolisé pendant sa présidence.

Alors qu'il était au pouvoir, Chavez a augmenté substantiellement le financement public d'El Sistema. Ses opposants ont dénoncé ce qu'ils considéraient comme une prise de contrôle de la part de l'homme politique.

Mais depuis quelques mois, la situation s'est encore dégradée au pays. De nombreuses manifestations contre le successeur de Chavez, Nicolás Maduro, ont été réprimées dans la violence et les journalistes de la chaîne CNN ont été expulsés du pays. La semaine dernière, les experts en droits de l'homme des Nations unies ont réclamé une enquête sur les événements.

Jouer pendant qu'on réprime

Or, en février dernier, le jour même où six manifestants étaient tués, Gustavo Dudamel dirigeait l'Orchestre symphonique Simón Bolívar pour un concert célébrant l'anniversaire d'El Sistema.

Sa compatriote, la pianiste Gabriela Montero, lui a alors adressé une lettre ouverte lui enjoignant de dénoncer la répression. Son intervention fort médiatisée allait obliger le chef à lui répondre par l'intermédiaire des journaux.

Contactée par La Presse, la pianiste s'explique: «Depuis des années, ce gouvernement viole les droits de l'homme, dit-elle. Des manifestants pacifiques sont violentés et emprisonnés. En tant qu'artiste connue, je me sens obligée d'attirer l'attention sur ce qui se passe. J'estime que des personnalités aussi importantes et connues que Gustavo Dudamel et José Antonio Abreu doivent aussi dénoncer cette répression. Ils doivent être du côté de la démocratie. En prêtant leur talent et leur célébrité à ce gouvernement, ils ne peuvent plus prétendre qu'ils sont neutres et fermer les yeux.»

Contre la violence

Les hypothèses vont bon train: Gustavo Dudamel soutient-il ce gouvernement ou essaie-t-il simplement de protéger son cher El Sistema? Quoi qu'il en soit, l'unique réponse du maestro, publiée dans les journaux, permet de pencher pour la seconde explication.

«Je déteste et je renonce à toute violence. J'aime mon pays et son peuple, et ce qui est en train d'arriver me peine au-delà des mots. Les valeurs et la musique d'El Sistema représentent ce qu'il y a de mieux au Venezuela. Depuis près de 40 ans, son importance pour des millions de gens est impossible à mesurer. Je ne peux pas permettre qu'il devienne victime de la politique. En dépit de toute pression politique et publique, je vais continuer mon travail au Venezuela et dans le monde. Beaucoup de choses ont été écrites au sujet de ce que j'aurais dû faire alors que les rues de Caracas étaient en proie à la violence. Aurions-nous dû annuler notre concert et envoyer les centaines de jeunes présents dans ces mêmes rues? Ma réponse demeure un non à la violence et oui aux valeurs de paix, d'amour et d'unité d'El Sistema.»