Le métier de chef d'orchestre est une profession où les femmes tardent à se tailler une place au soleil. Même si les jeunes chefs comme Mélanie Léonard ne ressentent pas la discrimination vécue par les pionnières, le sexe féminin demeure une rareté sur les podiums, surtout dans les grands orchestres symphoniques.

À 36 ans, Mélanie Léonard représente bien cette génération de femmes chefs d'orchestre confiantes en leurs moyens et qui se sentent appréciées à leur juste valeur. Après avoir été chef en résidence et chef associée du Calgary Philharmonic Orchestra de 2009 à 2013, elle se lance maintenant sur le circuit des chefs invités et dirigera I Musici de Montréal les 20, 21 et 22 mars à la salle Tudor.

«Je me suis toujours sentie soutenue par les hommes dans mon milieu et je n'ai jamais senti qu'être une femme faisait une différence, dit Mélanie Léonard. S'il y a encore de la discrimination dans le milieu musical, ce n'est pas avoué ouvertement, du moins ici, au Canada. Dans mon approche, je mise sur les éléments que je peux contrôler en me présentant au mieux.»

Toujours rares au Canada

Il n'en demeure pas moins qu'au Canada, sur 47 orchestres professionnels, une poignée seulement est dirigée par des femmes, selon Orchestra Canada, association réunissant les orchestres du pays. Le seul orchestre symphonique canadien dirigé par une femme est celui de Victoria, par Tania Miller.

La situation n'est pas plus reluisante en Europe. En France, sur 574 concerts au programme de la saison 2013-2014, seulement 17 étaient dirigés par des femmes, selon la Société des auteurs et compositeurs dramatiques de France. Mais l'ensemble remportant la palme du sexisme est le réputé Orchestre philharmonique de Vienne, qui n'a accepté une femme comme membre à part entière qu'en 1997 en la personne de la harpiste Anna Lelkes.

De temps à autre, des musiciens de haut vol se permettent encore des commentaires sexistes sur la place publique. Mais ils en subissent les conséquences médiatiques désastreuses! En septembre dernier, le jeune maestro-vedette russe Vasily Petrenko a beaucoup fait parler de lui après avoir déclaré que «les orchestres réagissent mieux avec un homme devant eux» et qu'«une jolie fille sur le podium peut signifier que les musiciens pensent à autre chose».

Encourager ou décourager

Katherine Carleton, directrice générale d'Orchestra Canada, croit qu'une partie de la solution vient de l'environnement scolaire des musiciennes.

«Les encouragements et l'attitude générale du milieu envers celles qui veulent devenir chefs sont importants, dit-elle. Je suis toujours frappée par le nombre d'excellents chefs comme Yannick Nézet-Séguin ou Jacques Lacombe issus du système d'éducation québécois, notamment de ses conservatoires. Je ne vois pas pourquoi cela ne fonctionnerait pas aussi pour les femmes chefs issues du même système qui ont un grand potentiel, comme Mélanie Léonard ou Dina Gilbert [NDLR: chef assistante de l'OSM].»

Photo: fournie par l'orchestre

JoAnn Falletta, directrice musicale du Buffalo Philharmonic Orchestra

Selon Shelley M. Jagow, professeure de musique de la Wright State University, qui a étudié la question, les explications au nombre peu élevé de femmes sur les podiums sont nombreuses. Outre les préjugés et la discrimination, il y a aussi les questions liées à la difficile conciliation travail-famille, aux choix personnels et aux nombreux déplacements qu'exige le métier de chef.

Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, a causé une petite commotion sur les médias sociaux, l'an dernier, en déclarant que le métier de chef pouvait avoir un frein physiologique. «Le métier de chef est parfois très éprouvant; certaines fois, les femmes sont découragées par l'aspect très physique [de ce métier]», a-t-il dit.

La chef Lorraine Vaillancourt, qui a fondé le Nouvel Ensemble Moderne il y a 25 ans, ne serait certainement pas de son avis!

«Le métier de chef d'orchestre est un métier de tête, dit-elle. C'est dans la tête que ça se passe, et il n'y a pas de raison pour que les femmes ne fassent pas de bons chefs. Mais, par tradition, les grands orchestres ont toujours été des fiefs masculins.»

Photo: fournie par l'orchestre

Marin Alsop, directrice musicale du Baltimore Symphony Orchestra

D'autre part, les exigences envers les chefs d'orchestre ont évolué, selon Katherine Carleton.

«Il ne leur suffit plus d'être de grands musiciens, dit-elle. Ils doivent aussi être vus comme des leaders par la communauté, agir à titre de porte-parole et contribuer à trouver du financement pour leur orchestre - des rôles que les femmes peuvent aussi très bien jouer. On en a la démonstration avec Marin Alsop aux États-Unis.»

Une femme inspirante selon Mélanie Léonard : Marina Abramovic

«Elle a fait des choses qui bousculent les idées et sont choquantes pour certains. Elle m'inspire parce qu'à travers son art, elle est tout à fait intègre. Il y a dans ses performances un laisser-aller, une honnêteté et une passion que j'aime. L'intention de l'artiste dans le moment présent, c'est quelque chose d'inspirant pour un musicien.»

Photo: fournie par l'orchestre

Susanna Mälkki, ancienne directrice musicale de l'Ensemble intercontemporain de France