Pour galvaniser sa volonté de démocratisation, l'Opéra de Montréal ne pouvait mieux choisir: pour sa première présentation ici en version scénarisée, l'«opéra populaire» Porgy and Bess de George Gershwin a rallié les mélomanes de toutes les allégeances, samedi soir, à la salle Wilfrid-Pelletier.

«Ce soir, on plonge dans l'Amérique!», avait lancé le musicologue Pierre Vachon en commençant son excellent exposé «pré-Opéra» au Piano nobile, où il y avait des gens debout. Le «plongeon», on le comprend vite, varie en difficulté selon que le spectateur est un inconditionnel de l'opéra classique européen, un jazzophile curieux qui a connu Porgy and Bess par Ella Fitzgerald et Miles Davis ou un simple amateur de spectacle musical.

Oeuvre universelle

À la réaction de la salle, on peut avancer que chacun y a trouvé son compte, grâce surtout à la grandeur et à la puissance évocatrice de la musique de Gershwin qui a fait plus que tout autre, avant ou depuis, dans le mariage des traditions musicales européenne et américaine. Avec ses traits de jazz, de blues et de gospel, la musique de Porgy and Bess est reconnaissable entre toutes, mais il ne s'agit pas pour autant de musique noire. La musique du plus grand opéra américain est universelle dans son pouvoir de toucher tous les coeurs et l'Orchestre symphonique de Montréal, dirigé pour l'occasion par le Britannique Wayne Marshall, se montre à la hauteur de l'oeuvre.

La qualité de la prestation de samedi doit aussi avoir effacé les doutes de ceux qui, encore, pouvaient se demander s'il s'agit bien là d'un opéra, summum de l'art musical où les chanteurs doivent donner substance et vérité à des archétypes de personnages. Les voix individuelles ne ressortent pas comme la qualité principale de cette production, mais elles y trouvent leur juste place dans un tout - on nous passera le cliché - plus grand que la somme de ses parties.

Le baryton américain Kenneth Overton livre une performance lumineuse en Porgy, mendiant infirme qui, quand il n'a pas son chariot, se traîne à genoux dans Catfish Row. Overton passe avec subtilité de l'état de déchéance assumé au bonheur total (I Got Plenty of Nottin') que représente pour lui la présence de Bess.

La soprano néo-brunswickoise Measha Brueggergosman apporte à ce rôle de femme déchirée puissance et présence scénique, mais on ne peut pas dire que son combat intérieur - quitter Crown? lâcher la coke? laisser Porgy? - nous interpelle de façon prenante. Peut-être parce qu'elle en rajoute dans sa gestuelle de cokée... Le Summertime, que chante fort bien Chantale Nurse en ouverture, ne gagne pas vraiment en ampleur avec Brueggergosman, mais son duo d'amore avec Porgy (Bess, You Is My Woman Now) reste un des beaux moments du spectacle.

Entertainer de premier plan

L'autre personnage central de ce folk opera a pour nom Sporting Life, un dandy qui vend de la «happy dust» (nom de la cocaïne dans le marché local) et les rêves qui vont avec. Jermaine Smith se révèle ici un entertainer de tout premier plan, on ne peut plus «américain», souriant, coulant, cynique à souhait dans It Ain't Necessarily So où il se rit de la Bible et de ses héros. Showtime!

Marie-Josée Lord, elle, plante une Serena tout à fait crédible qui, près du corps de son mari assassiné (Robbins), chante My Man's Gone Now avec toute la douleur de la veuve éplorée. Son Doctor Jesus, au chevet de Bess malade, s'avère aussi une vibrante prière.

Quant au choeur, son apport dramatique est peut-être plus important ici que n'importe où ailleurs dans le répertoire opératique bien que la scène paraisse surchargée à certains moments. Composé de membres du Montreal Jubilation Gospel Choir et d'autres chanteurs montréalais, le choeur incarne la communauté de Catfish Row et de son église. Foi, énergie, espoir.

Cet espoir vibrant qui, à la fin, pousse Porgy à partir pour New York pour chercher Bess qui a suivi dans la grande ville «Sport» et ses néfastes promesses. Qu'y trouvera-t-il autre que les merveilleuses mélodies de George Gershwin?

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Les 28 et 30 janvier ainsi que les 1er et 3 février à 19 h 30 à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.