Un opéra miraculeusement rescapé des camps nazis, Der Kaiser von Atlantis (L'Empereur d'Atlantis), est donné à partir de vendredi à Paris au Théâtre de l'Athénée, avant quatre villes françaises et une tournée projetée l'an prochain en Suisse et en Allemagne.

Composé et répété en 1943 par les détenus du camp de Terezin, à une soixantaine de kilomètres de Prague, l'opéra n'y a jamais été joué. Fruit de la censure des autorités du camp? Ou conséquence du départ funeste vers Auschwitz de son auteur, le compositeur et chef d'orchestre Viktor Ullmann, dont on perd la trace dès son entrée au camp d'extermination le 16 octobre 1944.

Terezin a un statut très particulier dans l'échiquier nazi: l'art et la musique y sont encouragés, car le camp, maquillé à l'occasion avec de faux décors, sert de vitrine lors des opérations de propagande du régime, par exemple lors d'une visite de la Croix-Rouge.

Les conditions de vie n'y sont pas bonnes pour autant: dans le camp où furent regroupés à partir de fin 1941 plus de 144 000 juifs, principalement tchèques, on a compté 33 000 morts. Entre les décès et les déportations vers des camps d'extermination (88 000 départs dont Viktor Ullmann et le librettiste de l'opéra, le poète Petr Kien), le camp ne comptait que 19 000 survivants à la fin de la guerre.

Lorsqu'il apprend sa déportation à Auschwitz, Viktor Ullmann emballe d'abord ses partitions avec ses affaires. C'est à la dernière minute qu'il confie sa musique à son ami Emil Utitz. On a cru longtemps la partition perdue, jusqu'à sa découverte en 1972 au domicile du fils du musicologue Hans Günther Adler, un de ses compagnons de camp à Terezin.

C'est à Prague, où elle montait l'opéra baroque Rinaldo de Haendel en 2009, que la jeune comédienne et metteur en scène Louise Moaty fait connaissance avec l'oeuvre. «J'ai eu un coup de foudre total, j'ai aussitôt voulu la monter», explique-t-elle.

Elle se rend plusieurs fois à Terezin, rencontre d'anciens déportés, comme la violoncelliste Zuzana Ruzickova, qui avait 14 ans à Terezin et a échappé à l'enfer d'Auschwitz, puis de Bergen Belsen.

L'art comme résistance

«Ce qui m'intéressait, c'est la force de l'Art comme moyen de survie: c'était le moyen pour ces déportés de se sentir humains et de résister. Parfois ils se transmettaient un poème à l'oreille comme le plus précieux des trésors», s'émeut Louise Moaty, 35 ans.

L'opéra de chambre, composé avec les moyens du bord, utilise des instruments hétéroclites comme le banjo et le saxophone. Il raconte l'histoire de l'empereur Overall, dont la folie tyrannique invente une guerre totale de tous contre tous. La Mort, qualifiée de «mort jardinière», refuse de se laisser régenter et décide de cesser de faire mourir les hommes jusqu'à ce qu'elle emmène l'empereur.

«C'est un appel à réintégrer la mort dans la vie, à se réapproprier la mort, pour ces hommes à qui on volait jusqu'à leur propre fin», rappelle Louise Moaty.

Compositeur avant-gardiste, élève d'Arnold Schönberg, Viktor Ullmann a composé pour cinq chanteurs et 13 instruments une partition patchwork, truffée de citations. Il détourne ainsi l'hymne allemand Deutschland über alles en mode mineur. «Ullmann le rend comme vénéneux», décrit Louise Moaty.

Produit par l'Arcal, une compagnie qui emmène l'opéra hors des sentiers battus, L'Empereur d'Atlantis a été créé début janvier à Reims, avant Paris, et quatre villes de province (Niort, Poitiers) ou de la région parisienne (Massy et Saint-Quentin en Yvelines).

Parallèlement, l'Arcal et Louise Moaty sont en train de monter à Reims l'opéra Brundibar, joué 50 fois à Terezin par les enfants déportés, avant qu'en novembre 1944, ils ne soient déportés vers Auschwitz avec les musiciens.

L'opéra sera présenté le 10 avril à l'opéra de Reims, et une tournée est en cours d'organisation.