Il porte bien son nom: Lavigueur, prénom Louis. Il dirige à Montréal huit formations différentes: quatre orchestres et quatre choeurs. Ce qui l'amène à travailler sept jours par semaine et souvent jusqu'à 14 heures par jour.

L'été lui donne un peu de répit, mais la saison musicale, qui s'étend de septembre à mai, lui commande un horaire quotidien tellement chargé qu'on a envie de l'appeler «L'homme aux 48 heures». On s'étonne même qu'il trouve le temps d'accorder des interviews.

Loin de diminuer, son emploi du temps s'augmentait en septembre d'une charge additionnelle: devenu titulaire de l'Orchestre symphonique du Conservatoire à la suite du départ à la retraite de Raffi Armenian, dont il était l'adjoint, il passe désormais de 4 à 12 concerts par saison.

«Avant, j'étais le "numéro 2". Plus maintenant», dit-il. Au Conservatoire, il est aussi le chef du Choeur depuis 1981 et de l'Orchestre à cordes depuis 2011.

À ces trois formations établies dans la même maison s'ajoutent, à l'extérieur, l'Orchestre symphonique des Jeunes de Montréal, qu'il dirige depuis 1986 à la salle Claude-Champagne et qu'il a conduit jusqu'en Europe, aux États-Unis et en Chine, puis un autre orchestre, cette fois d'adultes, qui a nom Sinfonia de Montréal, enfin trois formations chorales: le Choeur Classique de Montréal, le Choeur Polyphonique, attaché à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, et l'Ensemble vocal Polymnie, de Longueuil.

Au total, Louis Lavigueur a 463 personnes sous ses ordres, soit 224 instrumentistes et 239 choristes. Ces huit formations sont pleinement autonomes: quelques personnes seulement se retrouvent dans plus d'une. Homme extrêmement méthodique, Louis Lavigueur a monté un fichier de plusieurs pages où sont réunis tous les détails relatifs à ses activités, y compris le nombre d'oeuvres qu'il a dirigées et dirige encore, soit plus de 700. La liste des compositeurs représentés englobe l'alphabet complet, à l'exception des lettres U, X et Y (qui y figureront certainement un jour!). Louis Lavigueur est très fier de ses réalisations et tout autant du titre qu'elles lui ont valu en 2011: Chevalier de l'Ordre national du Québec. D'ailleurs, il signe toujours «Louis Lavigueur, C.Q.».

Un choix difficile

Marié, père de deux enfants et habitant Notre-Dame-de-Grâce, le chef de 64 ans est né à Québec d'une famille bilingue: père francophone, mère irlandaise. Enfant, il fut choriste d'église; à 16 ans, il dirigeait la chorale du collège et bientôt un autre choeur auquel il adjoignit un petit ensemble instrumental. Depuis, il n'a jamais cessé de partager sa carrière entre choeur et orchestre. On vient d'ailleurs de le voir: quatre choeurs, quatre orchestres.

Et si les circonstances le forçaient à choisir? ...

«Ce sont deux mondes. Il serait très difficile de faire un choix. Mais s'il le fallait, ce serait l'orchestre. À cause de l'étendue et de la diversité du répertoire, à cause aussi de l'expérience que j'ai acquise à l'orchestre et du fait que la tradition orchestrale, ici, est plus forte que la tradition chorale. Pourtant, il y a des oeuvres chorales que je ne saurais quitter: les cantates de Bach, les oeuvres a cappella...»

A-t-il observé au cours des ans, chez les jeunes qu'il dirige, instrumentistes ou choristes, une hausse ou une baisse d'intérêt face à leur travail?

«Je me suis toujours attendu à ce qu'il y ait effectivement une baisse d'intérêt parce que le discours ambiant - le pop et le reste - ne met pas du tout en valeur ce répertoire-là et, surtout, ce métier-là. Or, de voir, année après année, autant à l'Orchestre des Jeunes qu'au Conservatoire, des musiciens qui se lèvent à 9h pour venir répéter, qui travaillent d'arrache-pied et qui aiment ça, cela démontre chez cette jeunesse une incontestable hausse d'intérêt.»

On note qu'il dirige toujours avec la partition devant lui.

«Oui, mais je la connais par coeur. Je tourne les pages machinalement. La partition m'est nécessaire parce que je dirige des orchestres de jeunes, donc qui n'ont pas encore de réelle expérience du concert. Mais je pourrais faire Le Sacre du printemps par coeur avec l'OSM.»

Qu'y a-t-il de plus difficile à accompagner: les chanteurs ou les instrumentistes?

«Les chanteurs. Ils sont très souvent mauvais musiciens. Ils n'ont pas le sens du rythme, ils sautent des temps. Les instrumentistes n'ont pas ce problème. Peut-être parce qu'ils ont quelque chose de matériel, de concret entre les mains.»

Les chanteurs et les instrumentistes qu'il préfère? Chez les chanteurs: Léopold Simoneau pour Mozart, Hermann Prey, Lucia Popp, Renata Scotto. Chez les instrumentistes: le pianiste Emil Gilels pour Beethoven, le violoniste David Oïstrakh. On remarquera que tous sont décédés, sauf Scotto, qui ne chante plus.

L'homme au visage anguleux parsème sa conversation de grands éclats de rire. Il semble très heureux de son sort. Nous bavardons de mille choses. Aime-t-il le jazz?

«Il y a sûrement quelque chose à comprendre là-dedans, mais j'ai abandonné l'idée il y a longtemps. C'est répétitif et d'une telle banalité au plan rythmique...»

Une journée dans la vie de Louis Lavigueur

8 h: Lever (parfois un peu plus tard !)

De 10 h à 12 h: Cours de direction d'orchestre ou de choeur au Conservatoire ou préparation d'un cours (étude des partitions, coups d'archet à réviser, etc.), sauf le samedi (répétition à l'Orchestre symphonique des jeunes de Montréal [OSJM]) et le dimanche (messe à la cathédrale)

12 h: Pause

De 13 h à 16 h: Répétition d'orchestre au Conservatoire ou préparation des répétitions, des cours ou des concerts, travail avec les solistes, etc.

16 h: Pause

De 17 h à 19 h: Répétition de choeur au Conservatoire ou autres activités pédagogiques

De 19 h à 22 h: Répétition avec un autre orchestre ou un autre choeur, ou encore: concert, parfois jusqu'à trois la même semaine

Vers 23 h: Un peu de Téléjournal avant le coucher...

Dix chefs-d'oeuvre selon Louis Lavigueur

Les 10 oeuvres que Louis Lavigueur place, ex aequo, au sommet du répertoire. Il en avait retenu 34. Il a dû se limiter à 10.

1 - Symphonie no 2, Résurrection, de Mahler

« L'une des premières oeuvres que j'ai découvertes. Une incroyable progression vers la lumière. »

2 - Deuxième Suite de Daphnis et Chloé de Ravel

« Pour le détail de l'orchestration, pour la virtuosité des traits autant que de l'écriture. »

3 - Symphonie fantastique de Berlioz

« Imaginez, en 1830, une symphonie en cinq mouvements et une orchestration aussi révolutionnaire ! »

4 - Concerto pour piano no 22, en mi bémol, K. 482, de Mozart

« Au point de vue de l'invention et de la couleur orchestrale, c'est le plus grand des concertos de Mozart. Il pourrait n'avoir écrit que celui-là ! »

5 - Concerto pour piano no 4, en sol majeur, op. 58, de Beethoven

« Même chose ici : le plus grand des concertos de Beethoven, avec (si vous permettez !) son Concerto pour violon. Impossible de choisir entre les deux. »

6 - Le Sacre du printemps de Stravinsky

« Un monument. À cause de la nouvelle technique orchestrale, qui se combine ici avec un nouvel apprentissage du rythme. »

7 - Messe en si mineur de Bach

« Une construction faramineuse. À la fois, le fait d'un musicien absolument accompli et la vision d'un être intimement croyant. »

8 - La Création de Haydn

« Pour la richesse de l'exploration instrumentale. Ne serait-ce que pour la première page : la description du chaos. Tout est fait avec une grande simplicité, jamais avec grandiloquence... »

9 - La Flûte enchantée de Mozart

« Deux mondes qui se rencontrent : la recherche de la vérité selon certains canons maçonniques et le côté amuseur public/spectacle populaire. »

10 - Boris Godounov de Moussorgsky

« L'expression de l'âme russe, avec toutes les duretés qu'on a appelées des erreurs d'harmonie mais qui, en fait, sont beaucoup plus à l'image d'un peuple que, par exemple, Tchaïkovsky, qui est un germaniste. »

Et les cinq oeuvres qu'il n'aime pas?

1 - Messa di Gloria de Puccini

« C'est tellement pompier ! »

2 - Ouverture de l'opéra Gwendoline de Chabrier

« La recherche de l'effet facile avec un abus de moyens. »

3 - Gloria d'Imant Raminsh

« Très difficile à jouer et à chanter... parce que mal écrit. Ce compositeur canadien a fait beaucoup mieux ! »

4 - Ouverture de la Grande Pâque russe de Rimsky-Korsakov

« Le seul bon moment : la lente introduction de caractère liturgique. »

5 - Hymne des Nations de Verdi

« Épouvantable. C'est tellement quétaine, tellement boursouflé ! »

Lavigueur et les autres

Y a-t-il des chefs qui l'ont marqué ou influencé par leur style, leur personnalité, leur envergure ?« Tout d'abord, ceux avec qui j'ai étudié : Pierre Dervaux, Franz-Paul Decker et James DePreist. Ensuite : Bernstein, Karajan (le Karajan des débuts... certainement pas celui de la fin !), Kleiber (Erich, le père) et Klemperer. Chez ceux d'aujourd'hui : Philippe Jordan et Fabio Lisi. »

Avons-nous oublié les chefs de l'OSM et de l'Orchestre Métropolitain (OM) ? « Je ne vais pas souvent au concert. Je n'en ai pas le temps. La seule fois où j'ai entendu l'OSM dirigé par Nagano, je me suis ennuyé. C'était la huitième Symphonie de Bruckner. J'ai trouvé cela assommant. Il n'y avait même pas de cohésion au sein de l'orchestre ! Nézet-Séguin, je l'ai dirigé, dans le temps, comme pianiste et comme choriste. L'an dernier, je l'ai vu diriger l'OM dans un autre Bruckner, la sixième Symphonie. C'est quelqu'un qui connaît intimement la partition, qui sait très bien faire travailler un orchestre, qui est très précis dans ses demandes et qui en fait trop. Je veux dire trop de gestes, bien qu'il en fasse moins maintenant. (Rires.) On apprend ! C'est un chef sérieux. »