Ces dames du LMMC avaient d'abord annoncé que Garrick Ohlsson allait faire ses débuts chez elles, à 65 ans, pour découvrir ensuite qu'elles l'avaient déjà présenté, à l'époque lointaine où elles étaient passées du Ritz-Carlton au Mont-Royal. Peu importe. Peu importe aussi, face à cette expérience qui consiste à l'écouter jouer, que le pianiste américain ait remporté des premiers prix un peu partout: Busoni 1966, Montréal 1968, Varsovie 1970.

L'homme de robuste constitution, qu'on prendrait volontiers pour un joueur de football ou un déménageur, entre simplement, salue bien bas, s'asseoit au piano et se maintient dans la même posture sobre pendant toute la durée du récital. Pas de bras en l'air, pas de regard collé au plafond, pas de pâmoisons. Rien.

Et il est certainement très sincère dans sa façon de jouer. Il joue très fort, très, très fort - en fait, beaucoup trop fort. Pas toujours, mais une bonne partie du temps. De la technique et de la puissance, il en a à revendre. Pas nécessaire d'en mettre tant, se dit-on. D'ailleurs, l'aigu du piano commence bientôt à perdre son accord et un technicien vient travailler dans l'instrument à l'entracte.

Le beau chant des deux Rhapsodies op. 79 de Brahms disparaît sous le déluge sonore. Certes, Brahms les indique «agitato» et «molto passionato». Mais il y demande un simple «forte». Plus loin, il inscrit «fortissimo», mais jamais les trois ou quatre «f» qu'on a entendus et réentendus.

La grosse pièce du programme vient immédiatement après et totalisera 38 minutes. Elle réunit trois compositeurs: Meyerbeer, avec le choral Ad nos, ad salutarem undam de l'opéra Le Prophète, Liszt, avec la célèbre Fantaisie et Fugue pour orgue qu'il en a tirée, et Busoni, avec sa transcription pour piano de cette dernière.

Sous les doigts du géant Ohlsson, le tout se ramène à un énorme numéro de virtuosité. L'Adagio central, qui devrait être une oasis d'intériorité, sert tout au plus d'introduction à la Fugue finale, où une main court sans arrêt d'un bout à l'autre du clavier pendant que l'autre y martèle d'écrasants accords. On imagine avec quel art Marc-André Hamelin aborderait cette musique. Pour l'instant, il faut se contenter de la finesse d'un bulldozer.

Le deuxième livre des Études de Debussy se déroule plutôt bien. Ici, rien de l'habituel impressionnisme vaporeux. Plutôt, six pièces qui sont autant d'illustrations du vocabulaire strictement pianistique. Notes rapidement répétées, plans sonores opposés, accords synchronisés: tout est reconstitué avec l'exactitude requise.

Exactitude encore dans la Fantaisie op. 49 de Chopin. Mais ce chef-d'oeuvre exige beaucoup plus: une pensée, un souffle, de l'imagination. De tout cela, rien. Quand même ovationné par une partie de l'auditoire, le pianiste annonce, en français, deux rappels: de Chopin encore, une Valse, ensuite le plus célèbre des Préludes de Rachmaninov.

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GARRICK OHLSSON, pianiste. Dimanche après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.

Programme:

Rhapsodies op. 79 (1879) - Brahms

Fantaisie et Fugue sur Ad nos, ad salutarem undam, S. 259 (1850) - Liszt, arr. Busoni (1897)

Deuxième livre des Études (1915) - Debussy

Fantaisie en fa mineur, op. 49 (1841) - Chopin