Le chef et directeur artistique n'est pas là, au moins quatre premiers-pupitres sont remplacés par leurs adjoints et, néanmoins, ce concert de l'OSM est une magnifique réussite. Il est vrai que les remplaçants disposent d'éléments très forts et capables de se défendre seuls: la somptueuse et tapageuse machine Prokofiev de Roméo et Juliette, le piano scintillant de Stephen Hough, et jusqu'à l'inévitable «création canadienne» qui, chose rarissime, n'ennuie pas et provoque, au contraire, une ovation qui vient du coeur.

Le programme se veut un hommage au 450e anniversaire de la naissance de Shakespeare. Bien sûr, les célébrations n'auront lieu que l'an prochain puisque le dramaturge est né en 1564, mais l'OSM, sans doute pour ne rien rater, a décidé de fêter cela tout de suite. Au fond, peu importe. Il s'agit d'un beau programme dont la plus grande partie est constituée de musiques ayant pour point de départ des oeuvres scéniques de Shakespeare.

Confié au «chef en résidence» Nathan Brock, il débute par la très longue ouverture de concert qu'une lecture du Songe d'une nuit d'été inspira au très jeune Mendelssohn de 17 ans et qui est sans lien immédiat avec la familière musique de scène, venue beaucoup plus tard. Compositeur inégal, Mendelssohn a signé là un coup de génie qui fait l'unanimité. Chef et orchestre en ont traduit d'une façon appréciable, sinon pleinement convaincante, la finesse, la poésie et le mystère.

Aux délicats bruits de la nature mendelssohniens succède un vacarme extraordinaire, surgissant de l'orchestre énorme et comme en mouvement, intitulé The Isle is Full of Noises. Il s'agit d'une création, commande de l'OSM au compositeur canadien Christos Hatzis et inspirée par The Tempest. Du tintamarre se détachent graduellement quelques références: musique de film, trémolos des cordes suggérant un unisson de voix humaines, long solo de trombone hésitant entre Mahler et Sibelius et repris par tout l'orchestre en modulant, style Scriabine. En 13 minutes, sans une seconde d'ennui, voici une musique qui est à la fois d'aujourd'hui et accessible parce que tonale. Le public ovationne le compositeur venu sur scène.

Retour à Mendelssohn. Stephen Hough redonne au premier Concerto pour piano son caractère superficiel de concerto de virtuose, sans recherche de profondeur. Les trois mouvements s'enchaînent et font 20 minutes. Hough traverse les deux mouvements rapides à l'extrême vitesse que justifient les indications «con fuoco» et «presto», tout en conférant une atmosphère de paix à l'Andante central et ses épisodes «tranquillo» où il est seul ou presque seul à jouer. Chef et orchestre le suivent bien, ou assez bien. En quittant le piano, il reçoit une gerbe de fleurs... qu'il remet à une spectatrice.

Après l'entracte, le chef invité propose la suite d'extraits (18 au total) qu'il a constituée à partir de la partition de ballet Roméo et Juliette de Prokofiev. Bien que le compositeur ait lui-même préparé trois suites pour le concert, la mode veut que chaque chef monte maintenant sa propre suite. L'OSM, qui a joué ces extraits nombre de fois, dans des ordres différents, reprend l'exercice avec une puissance et un éclat extraordinaires. Ici, mention toute spéciale aux fracassantes timbales d'Andrei Malashenko. Mais tant qu'à constituer une nouvelle suite, pourquoi pas une plus brève? Celle-ci totalise 55 minutes, soit près d'une heure. C'est beaucoup trop long.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Nathan Brock. Soliste: Stephen Hough, pianiste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts; reprise demain soir, 20 h. Séries «Grands Concerts».

Programme:

Ouverture de concert d'après A Midsummer Night's Dream, op. 21 (1826) - Mendelssohn

The Isle is Full of Noises (2013) (création) - Hatzis

Concerto pour piano et orchestre no 1, en sol mineur, op. 25 (1831) - Mendelssohn

Suite de concert du ballet Roméo et Juliette, op. 64 (1935) - Prokofiev, arr. Brock