Paul Desmarais était un homme discret. D'autres diraient secret, au sens d'impénétrable. Il parlait peu, n'aimait pas faire parler de lui, même en bien, et parlait peu des autres. En fait, il ne parlait pas: il agissait.

Il était aussi généreux que riche, donnant sans compter aux organismes humanitaires et culturels, notamment à ceux du milieu musical.

C'était un homme cultivé. Il aimait lire, en particulier sur l'histoire. Il collectionnait les oeuvres d'art et avait tapissé de toiles de Riopelle les murs chez Power Corporation. Ses goûts de mélomane se portaient sur la musique symphonique et sur certains instruments comme le violon et le violoncelle. Il préférait par-dessus tout les concertos pour violon de Bruch et de Tchaïkovsky. L'opéra? Un peu moins. Il laissait cela à sa femme, nous disent ses proches.

Il se prononçait rarement sur telle oeuvre ou tel interprète. Quand même, un soir où l'OSM venait de jouer une oeuvre contemporaine, il me glissa froidement ce bref commentaire: «Cette affaire-là, ça vaut pas cher, hein?» Déformation professionnelle, pensai-je tout bas.

Jacqueline Desmarais

La générosité de Paul Desmarais était aussi celle de sa femme Jacqueline. Glanés au fil des ans, ces chiffres parus dans les programmes de concerts et de spectacles parlent d'eux-mêmes. Orchestre Symphonique de Montréal, 5 millions et plus: Power Corporation. Orgue Pierre-Béique de la Maison symphonique, 5 millions: Jacqueline Desmarais. Orchestre Métropolitain, 500 000$: Jacqueline et Paul Desmarais. Opéra de Montréal, 100 000$ et plus: Power Corporation; 25 000$ et plus: Jacqueline Desmarais

Nézet-Séguin au Met

Protégé de Jacqueline Desmarais, membre du conseil d'administration du Metropolitan Opera de New York, Yannick Nézet-Séguin y fit ses débuts le 31 décembre 2009 en dirigeant une nouvelle production de Carmen dont Mme Desmarais avait assumé le coût, estimé à 5 millions. Le jeune chef était engagé pour cinq ans, à raison d'un nouvel opéra par année, et ce, sans avoir jamais dirigé au Met. Une première dans l'histoire plus que centenaire du plus important théâtre lyrique du monde.

Le violoncelle

En janvier 2012, Stéphane Tétreault jouait encore sur un violoncelle jugé indigne de son immense talent. Jacqueline Desmarais mit fin à cette situation en faisant l'acquisition d'un Stradivarius de 1707 utilisé pendant plus de 50 ans par Bernard Greenhouse, membre fondateur du Trio Beaux-Arts mort l'année précédente. Évalué à 6 millions et considéré comme l'un des plus précieux qui soient, l'instrument est prêté par sa propriétaire, pour une période illimitée, au jeune musicien de 20 ans.

L'opéra

Le stage annuel de l'Institut canadien d'art vocal est un autre des «enfants chéris» de Jacqueline Desmarais. Passionnée d'opéra autant que chanteuse de jazz, «Jackie» (comme l'appellent ses intimes) assume une bonne partie des frais (voyage, hébergement et autres) des stagiaires (une quarantaine par année), des professeurs et de l'équipe de production. Impossible de savoir combien coûte le tout... mais on l'imagine facilement!

Est-ce un hasard?

Il est souvent bien difficile de conclure au simple hasard. Lorsque, ce matin, 10h30, à la Maison symphonique, la jeune violoniste norvégienne Vilde Frang s'engagera dans le premier Concerto de Max Bruch avec l'OSM - choix établi il y a fort longtemps -, son chant élégiaque se confondra avec les témoignages émus provenant du monde entier à l'adresse de la famille de Paul Desmarais. Parce que - et c'est là le non-hasard - ce premier Concerto de Bruch, chaleureux et irrésistible, était l'une des oeuvres que le mélomane Desmarais aimait le plus, peut-être même celle qu'il préférait entre toutes.