Virée classique, dit l'affiche. Hier soir, à la première tranche de cette cavalcade qui reprend ce matin pour toute la journée, il y avait lieu de rebaptiser la chose d'un nouveau nom: chavirée.

L'OSM produit cette enfilade de 30 concerts -- quatre en même temps dans quatre salles de la Place des Arts -- et en indique le déroulement dans une brochure quelque peu labyrinthique. Ainsi, pour les cinq concerts d'hier soir, l'horaire se lisait selon la logique suivante: 19 h 30, 21 h 30, 19 h, 20 h 30, 19 h 30. Où commence-t-on? Où finit-on? Il y a bien, au centre de la brochure, un tableau chronologique des 30 concerts, mais les programmes n'y figurent pas. Il faut aller voir avant et après le tableau.

Il y a un autre problème: les files interminables observées avant chaque concert. Pourquoi faire attendre ainsi les gens?   

Ce n'est pas tout. Le récital du pianiste Menahem Pressler, annoncé pour 20 h 30 à la Cinquième Salle, a commencé avec 12 minutes de retard, sans qu'on explique pourquoi. Selon une source non officielle, le concert OSM-Augustin Dumay, annoncé pour 19 h 30 à la Maison symphonique, s'était terminé plus tard que prévu et on avait voulu donner à ceux qui désiraient assister aux deux concerts le temps de passer, c'est-à-dire de courir, d'une salle à l'autre.   

Par ailleurs, le récital Pressler a non seulement commencé en retard mais a dépassé la limite de 45 minutes prévue pour chaque concert. À 21 h 15, heure où il aurait dû avoir fini, le pianiste jouait encore. À 21 h 25, il terminait le deuxième mouvement seulement et il lui en restait deux autres à jouer. Or, le Requiem de Mozart était annoncé pour 21 h 30 à l'autre bout de la PdA, à la Maison symphonique. Il nous fallut donc quitter Pressler après deux mouvements sur quatre pour arriver à temps au Requiem. Celui-ci commença à 21 h 35, chose acceptable, sauf que Nagano fit suivre l'Introitus d'une pause interminable. Seule explication possible: on attendait les auditeurs qui avaient écouté Pressler jusqu'à la fin.   

On n'ose imaginer le désordre qui nous attend aujourd'hui, avec 25 concerts au menu! Si l'OSM envisage une troisième Virée pour l'an prochain, il faudra revoir très sérieusement l'enchaînement des concerts, ménager un espace raisonnable entre ceux-ci et, avant tout, respecter scrupuleusement la durée prévue de chacun.   

Une révélation: Kit Armstrong   

Notre itinéraire d'hier soir comprenait trois concerts sur cinq et commençait par Kit Armstrong, jeune pianiste américain de 21 ans et protégé de Brendel. On en parle comme d'un génie et il semble bien que ce soit vrai. L'incroyable fluidité de son Bach (premier Prélude et Fugue du 2e livre des fameux «48») semble prolonger le balancement naturel du corps. Ce garçon apparaît comme l'incarnation même de la musique. Une motorique nerveuse, de doigts parfaitement déliés, un phrasé riche et de réels plans sonores (malgré un piano un peu sec) caractérisent ses Mozart (Sonate K. 570 et Fantaisie K. 608). À un moment donné, il glisse sur une touche et fait une grimace.   

Autre sujet d'étonnement: le petit s'adresse au public dans un français parfait. Un rien de pédanterie cependant: annoncer O Mensch, bewein dein Sünde gross comme si tout le monde savait de quoi il parle. Il s'agit du prélude de choral BWV 622, à l'origine pour orgue, dont le titre se traduit ainsi: «Ô homme, pleure sur tes lourds péchés».   

Nous passons ensuite chez Pressler. Étrangement, la salle n'est pas comble, comme on l'avait indiqué. Le pianiste, 90 ans bientôt, joue avec ses cahiers à musique. On ne dira rien. Quelques hésitations et fausses notes marquent le Rondo K. 511 de Mozart, mais l'ensemble reste en place et senti. Le Schubert est moins heureux. Au premier mouvement, Pressler fait la reprise controversée de quatre pages, mais il fait aussi bien des erreurs. Le «sostenuto» du deuxième mouvement est étiré jusqu'à l'affectation et semble ne jamais devoir finir. Le choix n'est pas difficile: on court au Requiem.   

La Maison symphonique est presque remplie. Le Choeur de chambre de l'OSM, magnifique, lance ses trois Rex avec une rare énergie. Seuls les soprani tirent un peu à l'aigu sur «Salva me». Magnifique aussi, l'orchestre, sur tous les plans. Concernant les solistes: on note un léger tremblement chez Tyler Duncan; les deux femmes, Kimy McLaren et Michèle Losier, chantent avec de bonnes voix et du goût, mais seul Pascal Charbonneau montre un réel souci stylistique. Nagano nous donne là un très beau Requiem et le reprend aujourd'hui à 12 h. Et on réentend Pressler et Armstrong dans Mozart à 21 h 30.