Deux cents ans après la naissance de Richard Wagner, les Russes commencent à surmonter des décennies de défiance à l'égard d'un compositeur associé aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et à savourer sa musique.

Le théâtre moscovite Novaïa Opera (Nouvel opéra) a connu un grand succès avec la première à Moscou de l'opéra Tristan et Iseult, une des pierres angulaires de la musique occidentale.

L'absence remarquée à l'affiche des théâtres russes de cette oeuvre présentée la première fois en 1865 s'explique par les difficultés techniques d'exécuter l'opéra qui dure presque cinq heures, mais surtout par la défiance en Russie à l'égard du compositeur préféré d'Hitler.

«Présenter Tristan à Moscou était mon rêve de longue date», a souligné le chef d'orchestre britannique Jan Latham-Koenig.

«Ni avant, ni après, Wagner n'a atteint un tel niveau d'intensité», a-t-il souligné.

Les trois versions précédentes de l'opéra ont toutes eu lieu au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

L'opéra n'a jamais été joué à l'époque soviétique.

Les deux premières mises en scène ont eu lieu en 1899 et en 1909, la deuxième réalisée par le metteur en scène d'avant-garde Vsevolod Meyerhold, qui sera fusillé lors des purges staliniennes.

En 2005, c'est le directeur et chef d'orchestre du théâtre Mariinski Valéri Guerguiev, l'un des rares musiciens russes à exécuter Wagner, qui a présenté l'opéra, très rarement joué depuis.

Pour Jan Latham-Koenig, la frilosité des Russes envers Wagner s'explique par la promotion que les nazis ont faite du compositeur adoré d'Adolf Hitler et qui incarnait pour le Troisième Reich une nouvelle musique allemande.

«Il y a eu des considérations politiques. Après 1945, Wagner n'était pas bien vu en Russie», souligne-t-il.

Novaïa opéra, généralement considéré comme le troisième théâtre lyrique de Moscou après le Bolchoï et Stanislavski, a accepté l'idée de Latham-Koenig de réhabiliter le compositeur.

«C'était un défi important, mais nous n'avons pas peur», a souligné le directeur général de l'établissement Dmitri Sibirtsev.

Les spectacles, qui ont également marqué le 200e anniversaire de la naissance de Wagner ont été salués par la critique.

Le quotidien Kommersant a décrit la première comme «une avancée héroïque».

Pour Piotr Pospelov, critique du journal Vedomosti, cet opéra mis en scène par l'Allemand Nicola Raad est «non seulement un événement historique, mais aussi un événement artistique» mettant en lumière les ambitions de Novaïa opera.

L'établissement a été fondé en 1991 sous l'ex-maire de Moscou Iouri Loujkov comme un «opéra pour le peuple», moins cher que le Bolchoï, et qui mettrait l'accent sur des mises en scène aux puissants effets visuels.

L'établissement, qui a connu une baisse de régime en 2003 après la mort de son fondateur Evguéni Kolobov, reprend de l'élan avec le chef d'orchestre Latham-Koenig.

Pour les deux premières représentations, Novaïa opera a invité deux chanteurs étrangers spécialistes de Wagner, la Suisse Claudia Iten pour le rôle d'Iseult et l'Allemand Michael Baba pour celui de Tristan.

Le duo a été applaudi et le théâtre est désormais devant un nouveau défi: ce sont des chanteurs russes qui se produiront dans les prochaines représentations.

«Wagner ne figurait pas dans mon répertoire. C'est un pas important dans l'évolution d'un chanteur», a souligné Mikhaïl Goubski, qui va chanter Tristan.

L'absence d'opéras de Wagner dans le répertoire des théâtres russes fait que les chanteurs russes ont des difficultés avec l'allemand et la maîtrise du poids vocal afin de ne pas être éclipsés par le puissant orchestre de Wagner.

La Russie n'a presque pas de chanteurs de Wagner de renommée internationale à part Evguéni Nikitine du théâtre Mariinski.

«Il sera très important de voir comment chanteront les Russes dans les représentations suivantes. Mais il est clair qu'ils ont déjà un exemple à suivre», souligne Kommersant.

Après le succès de Tristan et Iseult, les amateurs de Wagner en Russie attendent avec impatience une autre première importante, Tannhauser, qui sera présenté à l'automne au théâtre musical Stanislavski.