Lorsque la brochure du Festival de musique de chambre annonce, de Beethoven, le deuxième des trois Quatuors Razoumovsky (op. 59 no 2) et que le public se fait servir à la place le premier de la série (op. 59 no 1) sans que personne n'ait la décence de l'informer du changement - comme si «op. 59 no 1» et «op. 59 no 2», c'était du pareil au même -, il y a lieu de se demander si le Festival dit vrai quand il annonce que le «nouveau» Quatuor Emerson fait ses débuts chez lui.

Qu'on se rassure: autant le Beethoven entendu n'était pas celui que donnait le programme, autant MM. Drucker, Setzer et Dutton, piliers du Emerson depuis plus de 35 ans, ont bel et bien procédé à Montréal, P. Q., et non chez eux, aux USA, au «baptême» de leur nouveau collègue du poste de violoncelle, le Britannique Paul Watkins.

Nous tenons cette précision de l'un des musiciens, Philip Setzer, qui fonda le Quatuor Emerson en 1976 avec Eugene Drucker. Il s'agit des deux violonistes qui, comme on sait, alternent, en concert et sur disque, au poste de premier-violon. L'altiste actuel, Lawrence Dutton, s'est joint au groupe en 1977. Le violoncelliste David Finckel, le dernier à entrer au Emerson, en 1979, aura été le premier à le quitter (mais il ne quitte pas le monde musical pour autant).

Le Emerson étant l'un des quatuors les plus célèbres, ce départ fut très médiatisé, tout comme la succession. Combien y a-t-il eu de candidats? Un seul: Paul Watkins, répond M. Setzer. Concernant le premier enregistrement que réalisera le «nouveau» Emerson, rien de décidé encore.

C'est en 1986, 10 ans après sa formation, et au LMMC, que le Emerson fit ses débuts à Montréal. Il revint régulièrement au LMMC et s'y produisit pour la 15e et dernière fois, dans sa composition familière, en septembre dernier. Le programme se terminait avec la même oeuvre que le concert de jeudi soir (en raison du changement que l'on sait), soit le premier Razoumovsky.

On avait alors noté de très légères imprécisions chez les deux violonistes. Curieusement, la chose se produisit de nouveau jeudi soir. Rien de dramatique, mais, quand même, de quoi surprendre chez un ensemble aussi aguerri. Comme si l'esprit d'équipe avait été troublé: dans le premier cas, par un départ imminent et, dans le second, par la nervosité de jouer pour la première fois avec un nouveau venu.

Dans l'ensemble, le concert fut d'une bonne tenue. Bien que lu avec ses premières reprises seulement, ce Haydn nous reportait à un niveau de raffinement qui a disparu de notre monde. Le Emerson traverse les 34 minutes du complexe Bartok sans problèmes techniques. Au premier mouvement, il confère une réelle expression à la réexposition, «molto tranquillo», et conclut l'oeuvre sur un Lento on ne peut plus lugubre. Dommage qu'il ne souligne pas davantage les soudains changements de tempo et de couleur qui marquent le sauvage et très magyar deuxième mouvement.

Routinier par endroits, imparfait aussi, le Beethoven déboucha sur une strette «presto» qui, comme par miracle, rallia tous les participants. À l'ovation qui suivit, l'altiste Dutton annonça comme rappel le finale à sujet de fugue du troisième Razoumovsky (op. 59 no 3).

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QUATUOR À CORDES EMERSON. Eugene Drucker et Philip Setzer, violons, Lawrence Dutton, alto, et Paul Watkins, violoncelle. Jeudi soir, St. George's Anglican Church. Dans le cadre du 18e Festival de musique de chambre de Montréal.

Programme:

Quatuor no 33, en sol mineur, op. 20 no 3, Hob. III : 33 (1772) - Haydn

Quatuor no 2, op. 17, Sz. 67 (1917) - Bartok

Quatuor no 7, en fa majeur, op. 59 no 1 (Razoumovsky no 1) (1806) - Beethoven