Ce n'est pas exceptionnel. Mais ce n'est pas mauvais. C'est moyen. On peut résumer ainsi la production de Manon, de Massenet, qui clôt la 33e saison de l'Opéra de Montréal. En trois heures, y compris deux entractes, l'affaire se situe au niveau du bon spectacle de province, soit le niveau où se maintient habituellement l'OdM et celui où il excelle.

L'OdM utilise ici les décors et costumes d'époque, tous encore à propos, que l'ancien grand patron Bernard Uzan et son adjoint Michel Beaulac (devenu directeur artistique de l'organisme) avaient conçus pour une production de 1999. Seul déçoit le tableau final : la scène est dénudée et plongée dans le bleu... comme autrefois à Bayreuth.

La mise en scène est nouvelle : signée Brian Deedrick, convenable quant au mouvement général, plus discutable dans certains détails. Lorsque Manon accepte la proposition du vieux riche de Brétigny et laisse des Grieux se faire enlever sous ses yeux, c'est debout dans son lit qu'elle commence à chanter le célèbre «Adieu, notre petite table». À cette fantaisie tout à fait gratuite de metteur en scène succède cependant une touchante idée. Pendant que des Grieux parle à Manon de leur «maisonnette toute blanche», qu'il a vue en rêve, la petite regarde ailleurs et le spectateur comprend qu'elle n'est déjà plus avec lui.

La scène de l'enlèvement, qui suit, est gauchement réalisée. On n'y croit tout simplement pas. Plus tard, au séminaire de Saint-Sulpice où des Grieux, futur abbé, cherche à oublier Manon, l'entrée du comte, venu sermonner son fils, manque sérieusement d'envergure. Lorsque Manon vient relancer des Grieux au milieu des cierges et des statues, ce n'est pas debout mais étendus sur le plancher que les deux êtres renouent leur liaison. L'effet est grossier : on dirait une scène de lutte.

Après son succès à Paris, il était normal que Marianne Fiset reprenne le rôle-titre à l'OdM, sur la scène même où elle obtint en 2007 le premier prix du Concours international de Montréal. Sa prestation est remarquable. Elle joue Manon avec une intelligente subtilité, évitant ces deux extrêmes, soit l'insupportable mièvrerie ou l'excessive frivolité, où tombent certaines chanteuses. La voix est bonne dans son ensemble, malgré quelques aigus un peu forcés.

En des Grieux, Richard Troxell remplace à quelques heures d'avis celui qui avait été annoncé. On connaît ce ténor américain : il reprit ici en 2008 le rôle de Pinkerton qu'il avait chanté dans une version filmée, de 1995, de Madama Butterfly. Bien que la voix ne soit pas particulièrement belle, l'homme joue avec ardeur et son français est très soigné.

Le jeune baryton Gordon Bintner continue de s'imposer depuis son premier prix au Concours OSM de 2011. Il apporte beaucoup de présence, une grande voix et une étonnante diction française au personnage équivoque de Lescaut, cousin et gardien de Manon.

Alain Coulombe possède le timbre de basse d'un bon comte des Grieux. Dommage qu'il écrase le fa aigu sur le mot «ciel» dans l'air de Saint-Sulpice. Alexandre Sylvestre et Guy Bélanger sont comiques en vieux galantins, les petits rôles sont bien tenus, les choeurs sont vivants, les éclairages sont trop sombres dans la maison de jeu mais meilleurs avant et après, la chorégraphie du Cours-la-Reine est élégante, l'Orchestre Métropolitain sonne bien et le chef invité Fabien Gabel se montre toujours attentif aux nuances des chanteurs.

MANON, opéra en cinq actes, livret de Henri Meilhac et Philippe Gille, d'après le roman de l'abbé Prévost, musique de Jules Massenet (1884).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 21, 23 et 25 mai, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution (rôles principaux) :

Manon : Marianne Fiset, soprano

Le chevalier des Grieux : Richard Troxell, ténor

Lescaut : Gordon Bintner, baryton

De Brétigny : Alexandre Sylvestre, basse

Guillot de Morfontaine : Guy Bélanger, ténor

Le comte des Grieux : Alain Coulombe, basse

Poussette, Javotte et Rosette : Frédérique Drolet et Florie Valiquette, sopranos, et Emma Char, mezzo-soprano

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Mise en scène: Brian Deedrick

Décors : Bernard Uzan et OdM

Costumes : OdM

Éclairages: Anne-Catherine Simard-Deraspe

Chorégraphie : Noëlle-Émilie Desbiens

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale : Fabien Gabel