Jean-Marie Zeitouni et les Musici ont, sinon éclipsé, tout au moins relégué en deuxième place leur soliste Vadim Gluzman. Le violoniste ukrainien n'est aucunement en cause : il a joué comme un grand musicien. Mais il avait choisi cette interminable Serenade de Leonard Bernstein qu'on entendait encore récemment, fin janvier, dans cette même Maison symphonique, par la Néerlandaise Liza Ferschtman avec Ivan Fischer et l'Orchestre de Budapest.

Notre réaction avait alors été la même, comme c'est presque toujours le cas devant cette partition de quelque 30 minutes qui est, à la fois, brillamment écrite, vide et prétentieuse. Gluzman et l'orchestre y ont pourtant apporté le maximum de soin. Applaudis, ils ont ajouté une page de l'Orphée de Gluck.

Ce qui précédait fut beaucoup plus captivant. Zeitouni ouvrait le concert avec cet arrangement pour cordes et percussions de la Carmen de Bizet que le compositeur soviétique Rodion Chtchedrine réalisa en 1967 pour les besoins d'une chorégraphie. Les cordes des Musici sont ici augmentées à 25 et l'importante section de percussions (47 instruments au total) requiert la présence de six exécutants (parmi lesquels on remarque Jacques Lavallée, membre de l'OSM jusqu'à récemment).

Carmen-Suita -- c'est le titre original - fut donné plus d'une fois en concert, puis enregistré en 1993, par les Musici et leur regretté chef-fondateur Yuli Turovsky. L'OSM le joua aussi, de même que l'Orchestre de chambre McGill. L'oeuvre n'est donc pas une nouveauté ici. Mais elle a pris une dimension insoupçonnée, grâce à l'acoustique de la nouvelle salle et, surtout, grâce à la direction tour à tour très subtile et très dramatique de Zeitouni, qui a pleinement assimilé le nouveau sens du tragique que Chtchedrine a vu dans la Carmen de Bizet.

Les seules réserves à faire, encore qu'elles soient minimes, s'adressent aux violons : un peu faibles ici et là dans le Chtchedrine, ils le furent aussi dans l'Adagietto de la cinquième Symphonie de Mahler. Ce qui n'empêcha pas Zeitouni de signer de cette page, l'une des plus mystérieuses et des plus poignantes de Mahler, une réalisation scrupuleusement fidèle à toutes les indications du compositeur et qui nous tint en haleine du commencement à la fin.

Le concert n'avait attiré qu'une demi-salle. Seul le parterre était occupé; les trois galeries étaient fermées.

I MUSICI DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre : Jean-Marie Zeitouni. Soliste : Vadim Gluzman, violoniste. Vendredi soir, Maison symphonique, Place des Arts.

Programme:

Carmen-Suita (1967) - Chtchedrine

Adagietto de la Symphonie no 5, en do dièse mineur (1901-1904) - Mahler

Serenade pour violon et orchestre (1954) - Bernstein