Jake Heggie, l'un des compositeurs d'opéra vivants les plus acclamés, a failli abandonner l'écriture musicale avant de connaître le succès. Il raconte le parcours inusité qui l'a mené à la genèse de Dead Man Walking.

«J'ai grandi en Ohio et j'apprenais le piano, enfant. Quand j'avais 10 ans, mon père s'est suicidé et je me suis immergé dans la musique. J'ai commencé à composer pour le piano et la voix. C'est seulement à la fin de la vingtaine que j'ai découvert l'opéra.

«À la même époque, j'ai perdu l'usage de ma main droite à cause d'une maladie et je ne pouvais plus jouer du piano. J'ai alors fait une dépression et j'ai complètement arrêté de composer.»

Cinq ans plus tard, Jake Heggie se retrouve employé aux relations publiques du San Francisco Opera, et renoue avec l'écriture de la musique. Lotfi Mansouri, directeur de la compagnie, lui propose d'écrire un opéra et l'envoie rencontrer Terrence McNally, auteur dramatique célèbre à Broadway. Avec Dead Man Walking, McNally signe le premier libretto de sa carrière.

Quand on lui demande de décrire sa musique, le compositeur préfère laisser cette tâche aux musicologues!

«Mon enfance a été baignée par la musique populaire du temps et les émissions de variétés. Mon père jouait du saxophone, mes soeurs aimaient le rock and roll. Je croyais que je deviendrais auteur de comédies musicales. Du côté classique, il y a surtout eu Ravel, Debussy, Poulenc, Barber, Gershwin, Bernstein. Toutes ces influences sont perceptibles dans mon oeuvre. L'opéra est très représentatif de mon pays, avec des personnages typiquement américains.»

Soeur Helen Prejean, héroïne de cette histoire, a pris contact avec lui pendant qu'il composait.

«Elle ne voulait pas s'ingérer dans le processus, mais elle m'a offert son soutien. Nous sommes devenus amis. Elle essaie d'assister à chaque production, car elle considère que c'est sa responsabilité d'aller sur place pour faire réfléchir sur la peine de mort. Personnellement, je n'y avais jamais beaucoup pensé avant de me lancer là-dedans. Je ne voulais même pas aller voir le film à sa sortie, parce que je n'avais pas envie d'éprouver de l'empathie pour le tueur.»

Son aventure musicale l'a forcé à se remettre en question, pour en venir à la conclusion que la peine de mort n'est pas une solution.

«Toutefois, dans l'opéra, j'ai fait très attention de ne pas dire aux gens quoi penser, dit Jake Heggie. Je voulais donner une voix à tout le monde, qu'ils soient pour ou contre. Mon but n'est pas de dire aux spectateurs qu'ils ont tort ou raison. C'est un des rôles de l'opéra d'explorer des questions humaines difficiles et d'ouvrir un dialogue.»

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La petite histoire de Dead Man Walking

1982: Soeur Helen Prejean devient conseillère spirituelle de Patrick Sonnier, condamné à mort pour meurtre. Il est exécuté en 1984.

1993: Publication par Soeur Prejean du livre Dead Man Walking, bestseller nommé pour le prix Pulitzer.

1995: Adaptation cinématographique par Tim Robbins, avec Susan Sarandon et Sean Penn. Le film reçoit quatre nominations aux Oscars. Susan Sarandon remporte le prix de la meilleure actrice.

2000: Première de l'opéra de Jake Heggie au San Francisco Opera, qui avait commandé l'oeuvre. Un enregistrement est réalisé sous étiquette Erato.

2000 à 2012: Plus de 150 représentations dans plus de 30 villes, aux États-Unis, en Suède, en Allemagne, en Australie, en Irlande, au Danemark, en Afrique du Sud et au Canada.

2006: Première canadienne à Calgary.

2012: Second enregistrement réalisé au Houston Grand Opera par Virgin Classics.

2012-2013: Sept productions prévues, dont celles de Fayetteville (Arkansas), Dresde (Allemagne), Eugene (Oregon), Boston et Montréal.

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L'opéra au XXIe siècle 



Aujourd'hui, l'opéra puise encore son inspiration dans la littérature, mais aussi dans l'actualité, les enjeux de société et même les faits divers. En voici des exemples :

Doctor Atomic, de John Adams (première au San Francisco Opera, 2005): le stress vécu par le personnel scientifique et militaire avant le premier test de la bombe atomique, à Los Alamos.

Moby-Dick, de Jake Heggie (première au Dallas Opera, 2010): d'après l'oeuvre  d'Herman Melville.

Anna Nicole, de Mark Antony Turnage (première au Royal Opera House, Londres, 2011): la vie mouvementée de la starlette et playmate Anna-Nicole Smith.

Two Boys, de Nico Muhly (première au English National Opera, Londres, 2011): basé sur un vrai fait divers, le meurtre d'un adolescent par un autre après leur rencontre sur l'internet.

The Perfect American, Philip Glass (première au Teatro Real, Madrid, février 2013): les dernières années de la vie de Walt Disney.