Alain Lefèvre excelle généralement dans les oeuvres à sa portée, c'est-à-dire celles qui s'adressent d'abord au virtuose flamboyant. On le savait aussi compositeur. Samedi soir, Montréal en Lumière le présentait dans un récital de ses compositions, à la Maison symphonique. «Complet», nous a-t-on dit à l'entrée. Pourtant, la salle n'était qu'aux trois quarts remplie et le balcon était fermé.

Il n'y avait aucun programme, même pas un feuillet. Lefèvre allait lui-même annoncer les pièces. Ce qu'il fit, avec cet humour et cette sensibilité qui le caractérisent.

Entracte compris, la soirée dura deux heures - deux longues heures. Tantôt dans le noir, tantôt sous des effets lumineux (du rouge, du violet...), le pianiste, ou plutôt le compositeur, donne quelques titres et explique pourquoi cela s'appelle Un ange passe, ou bien Dis-moi tout, ou encore Jour de pluie... sans oublier le fameux Lylatov. Il a tiré son inspiration, confie-t-il, de la mort de son père, d'un voyage en Grèce, d'un autre en Russie, de sa femme aussi, la blonde Jojo, qui est également sa gérante. Diplomate, il dédie une nouvelle pièce à la femme du directeur de Montréal en Lumière, risque quelques mots en anglais, lance un J'aime Montréal! et rappelle qu'il anime une émission à Radio-Canada.        

Et la musique? Le plus souvent, on dirait des improvisations, sans forme précise, genre Satie, ou encore André Mathieu, qu'il a tant joué. Lefèvre joue un petit thème très simple, qui pourrait servir à une chansonnette, et l'enrobe, aux deux mains, de trémolos, d'arpèges et d'un remplissage harmonique manifestement inépuisable et souvent très coloré, avec des grondements à la basse et des timbres de clochettes à l'aigu.

En général, il commence tout en douceur, la tête renversée. Le noir aidant, on est sur le point de s'endormir... Mais un crescendo se dessine bientôt, que le pianiste rend de plus en plus terrifiant, assourdissant même, et qu'il conclut absolument déchaîné, crinière en bataille, les deux bras en l'air.

La foule écoute dans un silence religieux, puis ovationne à grands cris. Lefèvre revient deux ou trois fois, puis annonce un rappel : Danse des petits lapins.

ALAIN LEFÈVRE, pianiste et compositeur. Samedi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Dans le cadre de Montréal en Lumière.