Deux légendes vivantes de la musique russe, écrivions-nous mardi en annonçant ce concert. Celui-ci confirme ce qu'avaient révélé les deux précédentes visites du couple Rozhdestvensky-Postnikova: plus encore que des légendes, voici deux géants. Pleinement habités par leur art, ils occupent tout l'espace et font vibrer la salle attentive et silencieuse au message intensément humain de leur illustre compatriote Tchaïkovsky. Il faut chérir ces moments de pur bonheur, qui sont de plus en plus rares dans ce monde où la musique est trop souvent synonyme de «business» ou de «show».

De retour à l'OSM après des passages en 2008, salle Wilfrid-Pelletier, et en 2011 à Lanaudière, le chef d'orchestre Gennady Rozhdestvensky et sa femme, la pianiste Viktoria Postnikova, entrent à leur tour à la Maison symphonique. Comme en 2008, le programme est consacré à Tchaïkovsky et la pianiste y reprend le célébrissime premier Concerto. Cette fois cependant, le chef lui donne la vedette en intervertissant l'ordre du programme: il dirige d'abord Manfred, qui totalise 64 minutes, et madame monopolisera l'après-entracte avec le concerto, qu'elle fait en 38 minutes.

À la fois symphonie et poème symphonique, Manfred décrit le héros tourmenté de Byron errant dans les Alpes et finalement emporté par une sauvage bacchanale. Ignorant le podium et se plaçant au même niveau que les musiciens, le chef de 81 ans a une technique de direction assez particulière: utilisant assez peu la main droite, on pourrait presque dire qu'il dirige surtout de la main gauche. Peu importe: c'est le résultat qui compte. Quelques attaques floues s'estompent dans un ensemble plein d'atmosphère et des plus exaltants, avec des cordes unifiées chantant à plein archet les irrésistibles mélodies de Tchaïkovsky, des bois aériens comme dans une musique de ballet, des cuivres et des timbales sombres et spectaculaires. Cette musique vient véritablement «vous chercher», comme on dit.

L'après-entracte appartient à Viktoria Postnikova. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de fausses notes: il y en a! Là encore, peu importe: la pianiste de 69 ans montre une étonnante puissance de jeu et de son, mais aussi la délicatesse qui s'impose dans les passages plus intimes. On aurait aimé qu'elle joue cette fois l'autre grand concerto de Tchaïkovsky, le rare deuxième, mais elle revient au fameux premier et lui redonne tout son relief. Derrière le piano, monsieur fait amoureusement dialoguer tout l'orchestre avec madame.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Gennady Rozhdestvensky. Soliste: Viktoria Postnikova, pianiste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts. Reprises ce soir, 20 h (série «Grands Concerts»), et dimanche, 14 h 30 (série «Dimanches en musique»).

Programme consacré à Piotr Ilyitch Tchaïkovsky (1840-1893):

Manfred, symphonie en quatre tableaux, op. 58 (1886)

Concerto pour piano et orchestre no 1, en si bémol mineur, op. 23 (1875)