Interviewée dans nos pages samedi, Keri-Lynn Wilson, invitée à diriger le Wagner de l'Opéra de Montréal, parlait de l'importance exagérée donnée aujourd'hui aux chefs d'orchestre.

On s'étonne qu'elle ne se soit pas plutôt élevée contre le pouvoir carrément abusif que les metteurs en scène exercent dans le monde du théâtre lyrique. Ou peut-être n'a-t-elle pas voulu créer d'incident diplomatique, car ce Wagner, Der fliegende Holländer - c'est-à-dire Le Vaisseau fantôme, - illustre précisément cette regrettable situation.

Dans les notes succinctes de l'OdM, il faut comprendre que le spectacle a d'abord été conçu pour Toronto par l'Américain Christopher Alden et ensuite repris pour Montréal par la Canadienne Marilyn Gronsdal. Peu importe. Ce qui compte, c'est ce qu'on voit.

L'essentiel du drame est là, dès la violente tempête qui projette les matelots de part et d'autre du décor, et le caractère des personnages est respecté. Mais, trop souvent, toutes sortes d'éléments visuels et secondaires interviennent et transforment l'oeuvre de Wagner en «spectacle de metteur en scène».

Ou bien le concepteur joue sur l'immobilité, gratuite et extérieure (le Hollandais et son ombre, dans la porte, durant ce qui semble une éternité, ou encore Senta assise devant le portrait pendant... une autre éternité), ou bien il tombe dans le genre techno et, tout simplement, dans le show, genre Lepage-la-machine.

Ainsi, toutes ces chaises accrochées au mur, ou encore ces matelots et ces fileuses marchant au pas militaire, style Jeunesses hitlériennes, un procédé facile copié sur ces défilés de figurants qui abondent au théâtre et à l'opéra.

La fête qui ouvre le troisième et dernier acte est une véritable indigestion de couleurs, avec du vert partout. On se croirait à la Saint-Patrick.

Mais il y a pire : on a modifié la fin. Chez Wagner, le Hollandais, voyant Senta rejeter son fiancé Erik pour se donner à lui, craint d'être trahi à son tour et s'enfuit. Senta le poursuit et se jette à la mer. À l'OdM, le Hollandais grimpe dans un escalier en spirale, le voile de Senta dans les mains, pendant que la jeune fille enlève du mur le portrait du Hollandais et tombe sous les balles d'Erik. Devant une chose aussi énorme, une seule réaction possible : le silence.

Le décor unique, incliné, est riche d'éléments qui suggèrent tour à tour le mouvement du bateau et l'intérieur d'une maison. En costumes tous très beaux, les personnages qui y évoluent sont fidèles à Wagner.

Quatre chanteurs venus d'Allemagne se partagent les principaux rôles et deux dominent nettement la distribution : Thomas Gazheli et Reinhard Hagen, deux solides voix graves de bonne tradition wagnérienne, le premier en Hollandais sombre et tourmenté, le second en Daland autoritaire et calculateur.

Endrik Wottrich incarne avec passion, et la voix de ténor appropriée, le personnage d'Erik, l'amant rejeté. Maida Hundeling fait une tendre Senta mais chante d'une voix à l'aigu strident. Bonnes compositions des Canadiens Boteva et Lehmann dans des rôles secondaires.

Impressionnants, les choeurs d'hommes, les choeurs de femmes et la masse chorale les réunissant tous. Keri-Lynn Wilson dirige le spectacle avec efficacité et l'Orchestre Métropolitain sonne bien dans son ensemble.

DER FLIEGENDE HOLLÄNDER, opéra en trois actes, livret et musique de Richard Wagner (1843). Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 13, 15 et 17 novembre, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution

Philip Vanderdecken, capitaine de bateau hollandais, surnommé le «Hollandais volant»

Thomas Gazheli, baryton

Daland, capitaine de bateau norvégien

Reinhard Hagen, basse

Senta, sa fille

Maida Hundeling, soprano

Erik, chasseur, fiancé de Senta

Endrik Wottrich, ténor

Mary, nourrice de Senta

Emilia Boteva, mezzo-soprano

Le Timonier : Kurt Lehmann, ténor

***

Mise en scène: Christopher Alden, reprise par Marilyn Gronsdal

Décors et costumes : Allen Moyer (location : Canadian Opera Company)

Éclairages: Anne Militello

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale : Keri-Lynn Wilson