Impossible d'éviter le cliché au sortir de la Maison symphonique, dans la nuit de vendredi à samedi : l'intention était belle. Impossible d'éviter la question: la rencontre entre le compositeur Maxime McKinley et le DJ Maxime Morin alias Champion a-t-elle vraiment eu lieu? Poser la question...

L'oeuvre du compositeur et de l'artiste électronique, nous explique le programme de l'Orchestre symphonique de Montréal, s'articule autour d'évocations de marches inscrites au répertoire classique: The Bells de William Byrd, L'histoire du soldat de Stravinski, L'Amour des trois oranges et «Montaigus et Capulets» de Prokofiev, marche nuptiale de Mendelssohn, marche slave de Tchaïkovski.

Pertinent à n'en point douter, le lien entre ces marches et les musiques électroniques, enfin celles fondées sur des rythmes que préconise DJ Champion, est effectivement évoqué par la partie symphonique de l'oeuvre.

Vu la nature du projet, on convient qu'il était très difficile (impossible?) pour Maxime McKinley d'éviter à l'auditeur la perception d'une suite de citations et d'effets orchestraux, malgré le travail colossal qu'exige une telle entreprise à son compositeur. A-t-il su vraiment intégrer les matériaux de l'édifice?  À ce titre, il serait intéressant d'avoir l'avis des spécialistes de l'écriture symphonique... n'en demeure pas moins cette impression de travail inachevé. Enfin...

Principal irritant, en fait? La minceur de la proposition électronique.

Nappes de fréquences synthétiques trop timidement déployées, séance de scratch de niveau plutôt moyen; on est loin des C2C, Birdy Nam Nam, Qbert, Kid Koala, enfin les scratch mixers des grandes ligues... on sait aussi que la force musicale de Champion se trouve ailleurs, soit dans le mix, les textures et les métissages stylistiques qui lui ont valu un succès international.

Conclusion orchestrale évoquant le rythme binaire de l'électro pour plancher de danse avec un soutien trop ténu côté DJ et des percussions trop claires si l'on s'en tient à cette esthétique technoïde. Les consignes de sonorisation (ou leur exécution  à la table de mixage, il faudrait voir), il faut dire, n'ont pas aidé à la cause; souvent au cours de l'exécution, on avait du mal à identifier précisément l'influx de DJ Champion.

N'était-ce pas un enjeu fondamental de cette entreprise ? Alors pourquoi lui accorder une place aussi modeste ? Pourquoi ne pas déverser sur l'orchestre un flot beaucoup plus considérable de sons de synthèse ? Pourquoi ne pas conduire l'OSM à une relecture des grooves typiques de la musique électronique, enfin celle que connaît DJ Champion? Pourquoi ne pas lâcher la bête électro dans la forêt symphonique et l'y laisser s'exprimer pleinement ?

Répétons-le, l'intention était belle. Et d'autres initiatives du genre seront tout à fait souhaitables afin que l'univers esthétique de l'OSM puisse approfondir sa relation avec les musiques électroniques.

«De la part de mes collègues, je vous remercie, vous êtes extrêmement courageux», a dit le maestro Kent Nagano, non sans humour, avant de présenter Bondye konn bay men li pa konn separe (Dieu sait donner, mais ne sait pas partager). On imagine qu'il faisait allusion à l'écoute de l'oeuvre précédente au programme, écoute quelque peu laborieuse du Sacre du printemps dont on célébrera le centenaire de la création en 2013. L'oeuvre de Stravinski était soumise cette fois à un auditoire composé majoritairement de jeunes adultes parmi lesquels plusieurs semblaient peu familiers à ladite musique sérieuse et probablement séduits par l'idée électro-symphonique au programme, d'ailleurs ovationnée, cette dernière totalisant une vingtaine de minutes. Impossible, en tout cas, de ne pas avoir observé ces dizaines de spectateurs prendre place... entre l'exécution des deux parties!



On imagine que le personnel de la Maison symphonique avait assoupli sa notion du décorum dans le contexte: «OSM éclaté», c'est-à-dire présenté à 21h30 et suivi d'une soirée électro sous la gouverne de l'excellent DJ Marc Leclair alias Akufen. Les multiples paliers de cet amphithéâtre magnifique se sont alors transformés en lounge/discothèque jusqu'aux petites heures. Fort bel aménagement, d'ailleurs, qui aurait pu admettre davantage de convives. Encore une fois, une expérience à répéter... et à peaufiner.

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Orchestre Symphonique de Montréal

Chef d'orchestre: Kent Nagano

Support électronique: DJ Champion

Vendredi soir à la Maison symphonique de Montréal, 21h30

Programme: Le Sacre du printemps : tableaux de la Russie païenne en deux parties (1913) - Igor Stravinski.

Bondye konn bay men li pa konn separe (Dieu sait donner, mais ne sait pas partager) (2012) - Maxime McKinley et Maxime Morin, alias DJ Champion