On connaît depuis longtemps les dons exceptionnels de Jacques Lacombe comme chef d'orchestre, c'est-à-dire comme technicien tirant le maximum des orchestres les plus divers dans les partitions les plus complexes, qu'il se fait toujours un point d'honneur de diriger de mémoire.

À 49 ans, l'ancien organiste de Cap-de-la-Madeleine continue de s'affirmer comme interprète, jouant subtilement de la masse orchestrale comme un soliste au contact de son instrument. Le présent programme nous le révèle ainsi. Aujourd'hui chef du New Jersey Symphony et de l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, Lacombe revient comme chef invité à l'OSM dont il fut déjà le chef assistant.

Comme audacieuse entrée en matière, voici The Age of Anxiety de Leonard Bernstein, l'une des créations les plus sérieuses de l'auteur de West Side Story. Transposition musicale d'un poème «existentiel» de W. H. Auden, l'oeuvre est à la fois la deuxième des trois symphonies de Bernstein et un concerto pour piano et orchestre. Dutoit en avait dirigé en 1998, avec Jean-Yves Thibaudet au piano, une exécution superficielle et interminable. Cette fois, on oublie que cela dure 35 minutes. Lacombe et son pianiste Kirill Gerstein ont saisi le caractère dérangeant de cette musique et le communiquent pleinement, jusque dans le petit dialogue en jazz de la contrebasse et du piano.

L'après-entracte souligne le 150e anniversaire de la naissance de Debussy. On entend d'abord une synthèse des pages orchestrales de Pelléas et Mélisande que Marius Constant a réalisée en 1983 et intitulée «symphonie». Tout est là: les pas menaçants de Golaud qui soupçonne une affaire entre sa jeune femme Mélisande et son demi-frère Pelléas, les sinistres souterrains du château, la douce mort de la pauvre Mélisande. Comme à l'opéra, l'orchestre est somptueux et éloquent. Mais ces pages y sont accessoires: elles préparent et commentent l'action. Erich Leinsdorf avait déjà réalisé une telle synthèse. On aimerait simplement savoir si Debussy aurait été d'accord, lui qui indiquait si bien tout ce qu'il souhaitait entendre.

Non toujours convaincant en musique française, Lacombe étonne ici par une vision nouvelle et très réaliste du triptyque La Mer. Aidé par un orchestre absolument magnifique et l'acoustique idéale de la nouvelle salle, il souligne avec une égale vérité les violents soubresauts et les couleurs raffinées de ce chef-d'oeuvre de Debussy.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Jacques Lacombe. Soliste: Kirill Gerstein, pianiste. Maison symphonique, Place des Arts. Hier soir (série «Grands Concerts»); reprise auj., 10 h 30 (série «Matins symphoniques»).

Une heure avant le concert: interview de Jacques Lacombe.

Programme:

The Age of Anxiety, pour piano et orchestre (Symphonie no 2) (1948-49, rév. 1965) - Bernstein

Pelléas et Mélisande - Symphonie (1983) - Debussy-Constant

La Mer (1903-05) - Debussy