La soirée s'annonçait tristounette. Un crachin tiède imbibait chaque parcelle du Parc olympique et le ciel était gris. Cela n'empêcherait pas une foule estimée à près de 20 000 personnes d'envahir l'Esplanade pour ce qui, finalement, s'avérerait une soirée bruyante et mémorable.

Après une brève présentation de l'animateur Christopher Hall, Kent Nagano est accueilli par les cris des spectateurs, qui, empêtrés dans leurs parapluies multicolores, ne sont guère en mesure d'applaudir. Sous sa tente en forme de coquille lumineuse, avec le Stade en arrière-plan, l'orchestre entame la tapageuse Ouverture 1812. Le tableau est symbolique: Montréal est une ville qui aime autant la musique que le sport.

Cependant, on constate vite que l'inévitable amplification sera le talon d'Achille du concert. Mieux vaut être situé le plus loin possible des haut-parleurs. La distorsion, par moment, rend le son des violoncelles et des contrebasses semblable au vrombissement d'avions qui décollent. Qu'à cela ne tienne, tout le monde est enchanté de reconnaître le célèbre thème principal de l'oeuvre de Tchaïkovski. On bat le rythme du pied, un bébé hurle, des voisins dévorent allègrement un sac de chips. Au moment des fameux coups de canons, des étincelles et de la fumée s'élèvent, ajoutant du visuel à la cacophonie générale.

On passe ensuite à Hi-Ten-Yu, du compositeur japonais Isao Matsushita. Cette oeuvre avait été interprétée par l'OSM il y a deux ans, lors du concert Mystères du Japon. La question s'était alors posée: est-ce vraiment une bonne idée de vouloir plier le Taïko, cet instrument traditionnel oriental dont la pratique a plus à voir avec les arts martiaux et les cérémonies bouddhistes, aux formes musicales de l'Occident et à l'orchestre symphonique? Après cette seconde audition, on constate qu'en fait, dans ce mariage forcé, c'est finalement ce contraste qui fait la force de l'oeuvre.

Le soliste, Eitetsu Hayashi, entraîne l'auditeur dans une transe rythmique aux accents tribaux. L'effet est saisissant. Et semble exercer sur le ciel celui d'une danse de la pluie inversée, puisque celle-ci s'arrête enfin.

Arrive ensuite le plus beau moment du spectacle: Pini di Roma, de Respighi, une autre oeuvre spectaculaire, mais ponctuée de grands moments de poésie. S'il est difficile, dans un contexte extérieur, d'en apprécier toutes les couleurs orchestrales, on n'en est pas moins ému par le chant mélancolique de la clarinette qui s'élève tandis que la nuit tombe. Pendant les premières mesures du dernier mouvement, une centaine de musiciens supplémentaires, des cuivres, s'avancent lentement devant la scène pour prendre part à une finale tonitruante à en donner la chair de poule. Pour finir, on aura bien sûr droit au rappel favori des Montréalais, le Bolero de Ravel. Le public crie de satisfaction.

On en vient à penser que si les concerts en plein air de l'OSM sont mémorables, malgré leurs défauts, c'est aussi parce qu'il s'agit d'événements humains avant d'être musicaux. Et c'est très bien comme cela.