Deux grands pianistes, deux soirs de suite: Benedetto Lupo lundi, Alexander Melnikov mardi. L'Ange de Lanaudière veille sur son territoire.

Le Russe Melnikov, 39 ans, avait joué deux fois à Lanaudière en juillet 2003: d'abord en récital, ensuite comme soliste du cinquième Concerto de Saint-Saëns (l'Égyptien) avec Jacques Lacombe et l'OSM. Mardi après-midi, au moment de se remettre à la Wanderer-Phantasie de Schubert annoncée au programme du soir, il s'est rappelé avoir joué la pièce en 2003... et la remplaça par les Études symphoniques de Schumann. Le temps d'y penser, comme on décide de mettre tel veston plutôt que tel autre.  

L'histoire ne dit pas à quel moment le pianiste a travaillé les Études symphoniques pour la dernière fois. Chose certaine, il les possède dans les moindres détails, comme s'il les avait lui-même composées. Du thème exposé à une lenteur inhabituelle, il tire une multiplicité de climats, prend des risques (comme on dit dans le métier) et, sans changer le texte, surprend à chaque nouvelle variation. La main gauche, toujours aussi présente que la droite, fait gronder la basse; le jeu reste clair dans les passages les plus touffus. Il est vrai que la réverbération à Saint-Paul est moins prononcée qu'ailleurs.   

On avait indiqué que le pianiste ne jouerait pas les variations «posthumes», que Schumann retira de l'édition finale et qu'une autre main rétablit. En fait, il en joua deux, très voisines, glissées entre les variations 7 et 8.   

Un groupe Scriabine suivit. Le pianiste souligna au maximum le contraste entre les deux courts Poèmes op. 32, l'un capricieux, l'autre impétueux, et s'identifia avec volupté au délire total de la Fantaisie op. 28.  

Il consacrait l'après-entracte aux 12 premiers des 24 Préludes et Fugues de Chostakovitch, inspirés par le jeu de Tatiana Nikolaïeva qui, fait unique dans l'histoire musicale, les créa, les enregistra trois fois, en donna la première en Amérique et mourut en les jouant. 

Melnikov prit la partition pour cette oeuvre très complexe qu'il connaissait pourtant à fond, comme en témoigne son interprétation pleine d'imagination. Jouant sur un piano devenu un peu faux sous l'effet de l'humidité, et dans une chaleur qui le forçait à s'essuyer le front à chaque pause, il produisit une gamme infinie de couleurs qui soulignait la richesse polyphonique de cette musique, son humour aussi, et tout ce qu'elle doit à Bach. Sévère pour les auditeurs assis dans les bancs carrés de la petite église, l'exercice dura une heure complète.

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ALEXANDER MELNIKOV, pianiste. Mardi soir, église de Saint-Paul-de-Joliette. Dans le cadre du 35e Festival de Lanaudière.

Programme:

Études symphoniques, op. 13 (1837) - Schumann Poèmes op. 32 nos 1 et 2 (1903); Fantaisie en si mineur, op. 28 (1900) - Scriabine

Préludes et Fugues op. 87, nos 1 à 12 (1950-1951) - Chostakovitch