Le chef d'orchestre Kent Nagano dirige jusqu'au 15 juillet le monumental cycle Der Ring des Nibelungen (Le Ring) de Wagner à l'Opéra d'État de Bavière, dont il est directeur musical. Une entreprise aux proportions épiques, véritable point d'orgue de son mandat à la tête de la vénérable institution.

De loin l'oeuvre la plus ambitieuse et la plus célèbre de Wagner, la Tétralogie (quatre opéras dont la durée totale avoisine les 16 heures) représente pour les chanteurs comme pour les chefs d'orchestre une forme d'apex, de somme, d'Everest musical dont le pouvoir d'attraction presque mystique, plus de 130 ans après sa création, demeure toujours aussi vif. Wagner y raconte, bien avant J.R.R. Tolkien, sa propre version de la légende des Nibelungen, des nains dont l'anneau magique finira par entraîner la chute des dieux et le bouleversement de l'ordre universel. Une trame narrative incroyablement complexe, certes, à laquelle certains des plus grands metteurs en scène du dernier siècle se sont mesurés, et qui mobilise une distribution vocale de premier ordre et un orchestre absolument colossal.

Pour Nagano, le défi est double. D'une part, il présente sa lecture de la Tétralogie à l'aube du bicentenaire de Wagner, l'année prochaine, alors que certaines des plus grandes scènes du monde (Metropolitan de New York, Covent Garden de Londres) reprendront de nouvelles productions, récemment inaugurées. D'autre part, il le fait à Munich, dans un théâtre et pour un public dont la proximité historique avec Wagner et son oeuvre est exceptionnelle.

Vocabulaire wagnérien

Wagner a vécu à Munich, le roi Louis II de Bavière ayant été son plus fidèle et généreux mécène. La petite ville de Bayreuth, où le compositeur érigea son «théâtre idéal», siège d'un festival annuel mythique consacré à son oeuvre, n'est qu'à quelques kilomètres. Certains de ses opéras, dont les deux premiers volets du Ring ainsi que Tristan und Isolde, ont vu le jour sur la scène même où Nagano dirige aujourd'hui.

À «l'applaudimètre», on peut conclure qu'il a remporté tous les suffrages la semaine dernière à la suite des presque six heures que dure Siegfried, le troisième volet du Ring. Son approche de Wagner, que les Montréalais ont pu découvrir ces dernières années, tend à s'éloigner d'une certaine tradition d'opulence sonore, justement, plus solidement ancrée en Bavière qu'ailleurs, sans doute.

Cependant, le directeur musical de l'OSM fait des merveilles d'une partition difficile qui lui offre - en théorie du moins - peu d'occasions de briller. La véritable force de cette approche tient précisément en ce qu'elle réconcilie, sans atermoiements, des éléments opposés mais complémentaires du vocabulaire wagnérien. Le chef d'orchestre s'y concentre tour à tour sur les textures orchestrales diaphanes et claires qui sont l'une de ses cartes de visite, puis sur l'architecture, précise et analytique, des différents plans sonores.

Même impression l'avant-veille, alors que Nagano dirigeait le Wozzeck d'Alban Berg, pierre angulaire de l'opéra du XXe siècle. Et cela sans pour autant négliger la personnalité propre de son orchestre, la richesse de ses sonorités, de sa palette de couleurs. Au surplus, il imprime un contrôle de chaque instant à la masse sonore qui se déploie devant lui, attentif au volume et à la dynamique, permettant ainsi aux chanteurs de se démarquer (au premier chef la soprano Catherine Naglestad, qui chante Brünnhilde, et le ténor canadien Lance Ryan, qui tient le rôle-titre) sans y laisser leur voix.

Rumeurs

Un franc succès, de toute évidence, autre chapitre d'un feuilleton culturel qui se joue néanmoins sur fond de controverse. Kent Nagano a annoncé, en juillet 2010, qu'il ne souhaitait pas renouveler au-delà de 2013 son mandat de directeur musical à Munich, après quoi la presse allemande a longuement disserté sur d'éventuelles dissensions avec le directeur général de la maison, Nikolaus Bachler. Il faut dire que dans les pays germanophones, «l'intendant», comme on l'appelle, assume tout autant la responsabilité artistique qu'administrative du théâtre dont il a la charge.

L'entente entre le bouillant Autrichien Bachler et Nagano était, selon plusieurs observateurs, un pari risqué. Entre-temps, juillet 2013 approche à grands pas (le programme de la saison prochaine est déjà connu) et la machine à rumeurs s'emballe. Les journaux allemands envoient Kent Nagano à l'Opéra d'État de Hambourg, ou encore à l'Académie Sainte-Cécile, à Rome.

Les Montréalais devraient trouver intéressant le communiqué publié récemment par les représentants du chef d'orchestre, dans lequel il dément les rumeurs et dit ne pas avoir d'autres projets que celui de se concentrer sur sa dernière saison à Munich et d'accepter l'invitation de l'OSM de prolonger son contrat de directeur musical au-delà de la saison 2013-2014.