Depuis quatre siècles, la littérature, l'opéra et le cinéma se sont approprié le mythe du docteur Faust qui vend son âme au diable pour retrouver sa jeunesse. Dans sa plus récente production, l'Opéra de Montréal jette un nouvel éclairage sur le célèbre opéra de Charles Gounod inspiré du poème de Goethe en confiant le rôle de Faust à un tandem père-fils: Guy et Antoine Bélanger.

«Cet opéra n'aurait jamais été écrit si le Viagra avait existé», lance à la blague la basse Alexander Vinogradov, le Méphistophélès de la nouvelle production de Faust de l'Opéra de Montréal. Dans la salle de répétition de la Place des Arts, le diable en question est entouré non pas d'un, mais de deux Faust, les ténors Guy et Antoine Bélanger qui, quelques minutes auparavant, chantaient l'un à la suite de l'autre une réplique du docteur attendant l'arrivée de la jeune femme qu'il convoite, Marguerite (la soprano Mary Dunleavy).

«C'est ma mère qui a eu l'idée de nous faire chanter ensemble dans Faust, raconte Antoine Bélanger pendant une pause de cette répétition piano-voix. Guy et moi, on se ressemble: deux ténors qui couvrent à peu près le même répertoire. Il a 65 ans, j'en ai 34, mais c'est très plausible.»

Il y a trois ans, les Bélanger ont soumis cette idée de confier le rôle à deux interprètes plutôt qu'un seul à Michel Beaulac. Le directeur artistique de l'Opéra de Montréal l'a poussée plus loin en faisant apparaître simultanément sur scène le vieux et le jeune Faust. «Moi, je m'occupe de Marguerite - l'héroïne déchue qui commettra un infanticide -, et le vieux et le diable sont ensemble», explique Antoine.

«En général, c'est le vieux Faust qui interagit avec le diable parce que c'est lui qui a signé le pacte, reprend Guy Bélanger. C'est un scientifique, un érudit qui cherche pourquoi la vie, pourquoi la mort, pourquoi la science, pourquoi la connaissance et qui, convaincu d'avoir raté sa vie, décide de se suicider. S'il fait un pacte avec le diable, c'est pour retrouver sa jeunesse. J'incarne le vieux Faust, mais je revois ma jeunesse à travers celle de mon fils. Ça correspond à l'acte théâtral: on oscille toujours entre la jeunesse et la vieillesse. Ça ne s'est jamais fait nulle part au monde.»

Au moment de quitter le local de répétition, le metteur en scène Alain Gauthier salue les Bélanger et me glisse: «On s'amuse bien parce qu'on remet en question le sens de chaque réplique.» C'est Gauthier qui a fait la relecture du livret et le traitement des dialogues. «Ça fait presque deux ans qu'il y pense, note Guy Bélanger. Il n'a pas changé un mot du texte, sauf pour les coupes d'usage (le ballet du 5e acte: La nuit de Walpurgis), mais il a départagé le livret autrement.»

Un long rôle

Les Bélanger ont toujours baigné dans la musique. Edwin, le père de Guy, fut un violoniste et chef d'orchestre réputé dont le beau-père Omer Létourneau était organiste et compositeur. Guy et Antoine ont déjà chanté ensemble, mais jamais dans un opéra. Antoine en sera à son premier Faust, que son père a beaucoup fréquenté depuis 40 ans: il l'a chanté, au Québec comme en Irlande du Nord, il a dirigé l'orchestre dans une production de l'Opéra de Québec, dont il fut le fondateur, et il a été chef de choeur notamment pour le Faust de l'Opéra de Montréal signé par Bernard Uzan en 1989 - Uzan l'a de nouveau mis en scène en 1997. Ce sera pourtant son premier rôle à l'Opéra de Montréal.

«C'est un long rôle, Faust, c'est fatigant, reprend Guy Bélanger. Souvent, on ne détaille pas trop la première scène de peur que l'interprète se fatigue. Au début, habituellement, il porte son costume de jeune sous une cape et sa barbe est cousue après son costume. Comme il faut que le changement se fasse sur scène, il laisse tomber sa cape derrière un écran de fumée. Mais là, ça ne se passera pas comme ça.»

L'interprète du vieux Faust estime qu'avec cet opéra, Charles Gounod a été le chef de file du style lyrique français, ouvrant la voie à Bizet, Massenet et même Debussy. Chose certaine, Faust est l'un des opéras les plus joués dans le monde dont certains airs sont archi connus: avant de quitter ces lieux, que chante Valentin, le frère de Marguerite (le baryton Étienne Dupuis), et l'Air des bijoux (Ah je ris de me voir si belle en ce miroir), que plusieurs ont connu par l'entremise de la cantatrice Bianca Castafiore dans les albums de Tintin.

«C'est aussi l'un des opéras les plus caricaturés, précise Guy Bélanger. On s'est moqué de Faust, de Marguerite et des cantatrices trop lourdes, des ténors trop gros, trop ci, trop ça. Pas cette fois. Les interprètes sont crédibles dans la peau de leurs personnages. Si on avait refait un Faust dans la tradition, Michel Beaulac ne l'aurait pas inclus dans sa programmation. Et ça, je respecte ça.»

Faust, de l'Opéra de Montréal, ce soir et les 22, 24 et 26 mai, à 19h30, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.