Plus de doute possible: Evgueny Kissin est un grand pianiste. C'est-à-dire: un technicien de toute première grandeur, sans le moindre problème de mécanisme, un virtuose extrêmement brillant et, surtout, un musicien dans l'âme, un authentique interprète, qui donne un sens à tout ce qu'il touche, qui a une pensée et la communique à chaque instant à l'auditeur.

L'ex-petit prodige russe maintenant âgé de 40 ans va plus loin encore. Il sait renouveler l'écoute de cette Sonate au clair de lune servie à satiété et donner l'impression qu'on l'entend pour la première fois, et ce, sans y changer quoi que ce soit: en la livrant, tout simplement, comme si lui-même la découvrait.

Au départ, c'était presque un gag que de programmer cet op. 27 no 2 de Beethoven que personne n'ose plus jouer, tant la chose a été galvaudée. Dans la demi-obscurité et au milieu d'un silence total, malgré la présence de 2000 personnes, la fameuse et très longue séquence en triolets qui ouvre la sonate (et qui ouvrait le récital) prenait une dimension insoupçonnée sous les doigts miraculeusement inspirés du pianiste en pleine concentration.

Malgré un piano légèrement faux à l'aigu, Kissin venait de donner le ton des deux heures qui allaient suivre. De Beethoven, il passait à Samuel Barber et à son unique Sonate pour piano. Horowitz la créa en 1949 et en signa en 1950 un enregistrement dit «de référence». Horowitz joue cela, comme le reste, à la Horowitz, avec ses accents à lui. Manifestement séduit par le côté Prokofiev-Scriabine de l'oeuvre, Kissin en a donné une interprétation absolument magistrale et toujours fidèle au texte touffu, souvent disposé sur trois portées.

Chopin occupait l'après-entracte. Tout d'abord, un Nocturne. Kissin aurait pu prolonger le gag «lunaire» avec le Nocturne op. 27 no 2. Il a plutôt choisi l'op. 32 no 2. Là comme dans la Sonate op. 58 qui suivait, il propose un Chopin toujours expressif dans sa sobriété. Il n'y a là rien de l'intellectualisation d'un Pollini et rien de la sentimentalité de certains pianistes d'autrefois.

Au cachet qu'il commande, on se dit que Kissin pourrait faire la reprise au premier mouvement de l'op. 58. Pour compenser, il accorde trois rappels: une Mazurka de Chopin (parmi quelque 50...), les Variations sur la Marche turque de la musique de scène des Ruines d'Athènes, de Beethoven, et la fameuse Marche de l'opéra L'Amour des trois oranges de Prokofiev.

C'était la troisième visite de Kissin, après un récital le 21 octobre 1991, présentation de l'OSM, et le deuxième Concerto de Brahms les 1er et 2 avril 2008.

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EVGUENY KISSIN, pianiste. Jeudi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation: Orchestre Symphonique de Montréal, série Récitals. Reprise dimanche, 20 h, Grand Théâtre de Québec.

Programme:

Sonate no 14, en do dièse mineur, op. 27 no 2 (Clair de lune) (1801) - Beethoven

Sonate op. 26 (1949) - Barber

Nocturne no 10, en la bémol majeur, op. 32 no 2 (1837) - Chopin

Sonate no 3, en si mineur, op. 58 (1844) - Chopin