Quelle sorte de formation peuvent espérer recevoir des enfants en bas âge dont le père habite une ville et la mère, une autre? La question m'est venue à l'esprit en écoutant jeudi soir, au Bon-Pasteur, le Nouveau Quatuor à cordes Orford, qui n'a pas tout à fait trois ans d'existence, et dont une moitié travaille à Montréal et l'autre moitié, à Toronto. En effet, des deux violonistes, l'ex-Montréalais Jonathan Crow est violon-solo au Toronto Symphony et Andrew Wan occupe un poste équivalent à l'OSM, cependant que Eric Nowlin est alto-solo associé au TS et Brian Manker, violoncelle-solo à l'OSM.

Si, dans l'ensemble, le concert fut d'une bonne tenue, il ne fut en aucune façon remarquable ni, surtout, à la hauteur de la réputation déjà solide du groupe ou digne, tout simplement, de ce que doit être un quatuor à cordes. Le premier disque du Nouveau Orford fut une réussite absolue. Même chose pour son concert de l'été dernier à Lanaudière. Mais, cette fois, l'auditeur était conscient des problèmes que rencontrent des musiciens vivant dans des villes différentes lorsque vient le temps d'approfondir un programme. Combien d'heures furent consacrées à celui-ci? Un minimum, j'en suis sûr. Parce que si, au contraire, le Orford répondait qu'il a travaillé là-dessus très intensément et pendant plusieurs jours, je serais forcé de conclure qu'il n'est pas très doué et que la très forte impression qu'il a déjà laissée est un feu de paille.

Les quatre musiciens travaillent beaucoup, dans leurs fonctions respectives, et n'ont tout simplement pas le temps de travailler ensemble. Voilà, de toute évidence, ce qui se passe.

Comme tout ce qui est signé Mozart, le K. 590 réclame la plus grande perfection d'exécution. À cet égard, le groupe perdit bien des points. Il eut cependant la bonne idée de nous épargner la longue reprise de 133 mesures au dernier nouvement.

Pour le troisìème Quatuor de Bartok, l'alto prit la place du violoncelle au premier plan, mais sans réelle différence quant au résultat sonore. Les musiciens lurent la chose machinalement, comme en blanc et noir, sans reproduire les vives couleurs instrumentales que le compositeur y multiplie pendant 15 minutes.

Selon la formule d'alternance des deux violons adoptée par certains quatuors, Jonathan Crow prit place au pupitre de premier-violon après l'entracte, pour l'op. 59 no 1 de Beethoven, et le discours musical prit, du même coup, une toute autre allure. Il est clair que le très jeune Andrew Wan, pourtant excellent à l'OSM, n'a pas l'envergure d'un «leader» de quatuor. Pleins d'autorité au premier-violon et au violoncelle, respectivement, Jonathan Crow et Brian Manker entraînèrent leurs jeunes collègues dans une interprétation plus que convenable, sinon géniale, du Beethoven.

Très applaudi par l'auditoire qui remplissait la Chapelle jusque dans la salle d'exposition, le groupe se précipita dans un rappel, le même qu'à Lanaudière l'été dernier, soit, de Beethoven encore, la Cavatine du Quatuor op. 130. On en conclut que sa liste de rappels est plutôt limitée...

Ce qui m'amène à parler de son répertoire et de son très conventionnel programme de jeudi soir, puisé automatiquement, comme c'est trop souvent le cas, aux deux mêmes sources : a) le répertoire germanique; b) Bartok pour la partie «moderne». Pis encore : bien que le K. 590 soit le dernier des Quatuors de Mozart, cette position n'en fait pas nécessairement le meilleur des 23. Quant au Bartok, M. Manker l'avait joué l'été dernier à la Maison Trestler comme membre du Quatuor Adorno. Finalement, il n'y avait là qu'un choix intéressant sur trois : le Beethoven. Le reste illustrait un manque flagrant de curiosité chez les quatuors à cordes. Le répertoire pour quatuor fourmille d'oeuvres qu'on ne joue jamais. Elles existent, ces oeuvres, et on n'a pas le droit de les ignorer. Quelques noms, au hasard : Schoenberg, Saint-Saëns, Hindemith, Carter, Milhaud, Villa-Lobos, Schmidt, sans oublier les Canadiens et les Québécois. On répondra qu'il ne s'agit peut-être pas de chefs-d'oeuvre. Mais chacun des quatuors entendus jeudi soir appartient-il, sans discussion possible, à cette catégorie ?...

NOUVEAU QUATUOR À CORDES ORFORD - Jonathan Crow et Andrew Wan (violons), Eric Nowlin (alto) et Brian Manker (violoncelle). Jeudi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur.

Programme :

Quatuor no 23, en fa majeur, K. 590 (1790) - Mozart

Quatuor no 3, Sz. 85 (1927) - Bartok

Quatuor no 7, en fa majeur, op. 59 no 1 (1806) - Beethoven