Si Marc-André Hamelin n'est pas l'un des grands pianistes actuels, au monde entier, je me demande bien qui l'est. Cette impression très forte a accompagné chacune des oeuvres qu'il jouait hier après-midi au LMMC où, invité une troisième fois, il était accueilli par une salle archi-comble (assortie d'une longue liste d'attente!).

L'ex-Verdunois de 50 ans semble avoir délaissé les programmes marginaux, du genre Alkan, pour des choix plus conservateurs... quoique, là encore, on comptait quelques raretés: la grande Sonate op. 5 en cinq mouvements de Brahms est peu jouée et les pièces de Hamelin compositeur, probablement par lui seul.

Comme bien d'autres, Hamelin commence par la brève Sonate de Berg. Habituellement, cette musique ne me parle pas. Chez Hamelin, où le son est toujours expression, voici Berg soudain traversé de tumulte puis bercé de tendresse. Même privée de ses 70 mesures de reprise au premier mouvement, la Sonate de Brahms totalisait 35 minutes (la durée habituelle) dans cette vision pleine de contrastes. Tumulte et tendresse ici encore, auxquels s'ajoute le mystère du quatrième mouvement (l'Intermezzo). Le finale est plus inégal et le pianiste ne peut le métamorphoser en chef-d'oeuvre.

Hamelin a choisi quatre Préludes de Debussy, compositeur qu'il joue peu. Il attaque le premier, La Puerta del vino, avec une violence qui choque quelques vieilles dames. Pourtant, il suit simplement ce que Debussy demande: «Avec de brusques oppositions d'extrême violence et de passionnée douceur.» Sous les doigts en quelque sorte robotisés, la course imperturbable des Tierces alternées suggère quelque petit moteur diabolique de jeux vidéo. Et quel spectacle que ce glissando aux deux mains à la fin de Feux d'artifice.

Cinq de ses 12 Études (qu'il a enregistrées) complètent le programme. La Fugue déchaînée de la dernière Étude couvre le clavier tout entier et laisse pantois. Le reste est pour fans de Hamelin uniquement. Ovationné par le public debout, le pianiste joue un prélude de Leonid Sabaneïev, obscur compositeur et musicologue russe mort en 1968.

MARC-ANDRÉ HAMELIN, pianiste. Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.

Samedi soir

Après son exécution de la fameuse Polonaise militaire de Chopin, Cyprien Katsaris saisit le micro pour «avertir les jeunes pianistes de ne jamais imiter ce qu'ils viennent d'entendre, sous peine d'être décapités par les critiques et juges de concours».

Le pianiste franco-chypriote de 60 ans aurait pu garder pour la toute fin de l'interminable soirée (vers 22h30) cet «avertissement» qui, en fait, s'appliquait à la quasi-totalité de ce qu'il venait de nous infliger. Car si le Chopin fut effectivement marqué d'erreurs flagrantes (notes escamotées, notes autres que celles qui sont écrites, etc.), presque tout ce qui précédait et suivait fut du même médiocre niveau.

M. Katsaris avait établi un programme romantique partagé entre Liszt et Chopin. Une belle idée, hélas! très gauchement réalisée. Ainsi, il y avait là beaucoup trop de petites pièces sans lien entre elles. Son improvisation «spontanée» (sic) à la Liszt, où défilaient une dizaine de compositeurs, appartient au genre cocktail lounge. Limité comme musicien, notre joueur de piano possède en revanche une extraordinaire facilité technique, comme en témoigne son arrangement du deuxième Concerto de Liszt, où tout le dialogue piano-orchestre court entre les 10 doigts. Je reconnais aussi le charme élégant de ses deux Mazurkas de Chopin.

Pour le reste: du bâclé qui ne mérite même pas une mention. Les 300 personnes présentes se sont fait servir les amusants commentaires du pianiste, un dialogue avec son imprésario, un petit cours d'histoire, une lecture de poème et deux insignifiants rappels.

CYPRIEN KATSARIS, pianiste. Samedi soir, Théâtre Outremont. Productions Daniel Poulin.