Les étudiants de l'Atelier d'opéra de l'Université de Montréal ont un patriarche avec eux, ces jours-ci. Joseph Rouleau, qui fêtera ses 83 ans le 28 février, revêtira les habits du roi Arkel dans Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy, pour deux représentations de cette oeuvre monumentale à la salle Claude-Champagne.

«J'ai chanté le rôle d'Arkel pour la première fois en 1955, ici à Montréal, et une dizaine de fois en tout dans ma carrière, dit Joseph Rouleau. Mais c'est la première fois que j'ai vraiment l'âge du personnage.»

La basse de réputation internationale, qui a chanté aux côtés des plus grands durant sa carrière phénoménale, se fait un plaisir de remonter sur scène à l'occasion. Il y a à peine un mois, il était le chef des carabiniers dans Les Brigands, d'Offenbach, au Saguenay.

«À mon âge, on chante encore chez soi, mais normalement, on ne se présente pas devant un public, dit-il. Si on décide d'y aller, il faut être capable de bien le faire et je crois que je le suis. Est-ce fou, de la bravoure ou de la passion de prendre ce risque? J'ai pensé que ce serait peut-être une bonne chose, et j'espère que tout ira bien.»

Et ce n'est pas Pelléas, son petit-fils dans l'opéra, qui va s'en plaindre! Le ténor Jean-Philippe Fortier-Lazure, 23 ans, qui interprète Pelléas dans l'une des deux représentations, est ravi d'avoir un artiste d'aussi grande expérience à ses côtés pour relever ce défi.

«Il nous donne des conseils, mais on apprend aussi en le regardant. Quand on passe des heures à apprendre notre rôle et à mémoriser l'emphase sur chaque syllabe voulue par Debussy, on est parfois tellement pris par la musique que l'on oublie que l'on joue aussi un personnage. Lui, il est capable de faire les deux en même temps et ça semble facile. Il vit vraiment son rôle. On essaie de comprendre comment il y arrive et c'est génial d'avoir cet exemple», dit le jeune chanteur.

Réalité et fiction se rejoignent: le vénérable roi Arkel est justement un personnage prônant la sagesse et essayant d'aider les jeunes un peu confus autour de lui, explique Rouleau.

«Rien ne remplace l'expérience, dit Jean-François Rivest, directeur musical de l'Orchestre de l'UdeM. Pour les étudiants, le fait de voir quelqu'un comme Joseph Rouleau en action est un enseignement inestimable.»

Un défi colossal

Avec l'opéra de Debussy, on est à mille lieues des formes traditionnelles et des arias ayant pour unique but de démontrer la virtuosité des chanteurs. OEuvre révolutionnaire à son époque, créée en 1902 à Paris, Pelléas et Mélisande avait choqué le public conservateur du temps tout en étant acclamé par la jeune garde musicale.

Sa grande difficulté repose sur plusieurs raisons, explique Jean-François Rivest.

«Il n'y a pas de patterns comme dans d'autres musiques, dit-il. Rien ne se répète. C'est très complexe rythmiquement. Chaque note semble suspendue au temps et pas une seconde ne s'écoule sans que l'on soit pleinement attentif à ce fil conducteur temporel qui évolue graduellement. Tout est imbriqué subtilement. Les chanteurs sont traités comme s'ils étaient des instruments et la ligne musicale passe de l'orchestre à eux. Tous sont au service de la poésie, de la déclamation française et de la prosodie.»

Pour des étudiants, cela représente un Everest à gravir. Mais cette ascension les fait grandir et les prépare à leur carrière de musicien. «Quand on est un artiste, on n'arrête jamais d'apprendre, dit Joseph Rouleau. On n'a pas le temps de vieillir!»

Et surtout lui, pourrait-on dire.

Pelléas et Mélisande, 1er et 3 mars, 19h30, salle Claude-Champagne de l'UdeM.