Fondé en 1842, le Philharmonique de New York est le plus ancien orchestre d'Amérique et l'un des plus anciens du monde. Le nom de Gustav Mahler figure dans sa longue histoire et ses traditions. En effet, Mahler en fut le titulaire à la fin de sa vie et Bruno Walter, disciple du compositeur, y réalisa en 1947 le tout premier enregistrement de sa cinquième Symphonie.

Cette même cinquième Symphonie qui domine le premier des deux programmes que l'orchestre, colossal comme la métropole qu'il représente, donne ce week-end à la nouvelle salle de notre Place des Arts. Comme prévu, la salle de 2000 places était comble hier soir, au premier concert. Madeleine Careau, chef de la direction générale de l'OSM, qui présente l'orchestre américain, a souhaité la bienvenue aux 105 musiciens et signalé la présence dans la salle du consul des États-Unis et de Zarin Mehta, directeur général de l'orchestre qui, autrefois, occupa le poste de Mme Careau à l'OSM.  

Le «New York Phil» nous revient après une très longue absence: 44 ans. Leonard Bernstein, son titulaire à l'époque, l'avait emmené pour deux concerts lors de l'Expo 67. Du nouveau chef Alan Gilbert, né précisément l'année de l'Expo et nommé à New York il y a deux ans, on ne sait à peu près rien. Je me suis rappelé qu'il avait dirigé un concert à l'OSM en 1998 mais n'avais gardé aucun souvenir de lui.   

L'homme est grand, il a l'air sympathique, il fait beaucoup de gestes et bouge sans arrêt, de gauche à droite, et vice versa, devant l'orchestre. On en voudrait moins, beaucoup moins. Kent Nagano ne bouge presque pas et, entre deux extrêmes, je préfère encore Nagano. Je parle, bien sûr, du «spectacle».   

À l'exception du Mahler, qui fait partie de l'histoire du New York Philharmonic, le répertoire choisi pour Montréal est assez banal. L'Ouverture de Tannhäuser augmentée de sa Bacchanale du Vénusberg concoctée pour Paris (hier soir), le Concerto pour flûte et harpe de Mozart et la troisième Symphonie de Brahms (cet après-midi) sont des oeuvres qu'on entend régulièrement ici, même par nos orchestres d'étudiants. Il existe de grandes oeuvres américaines, de Charles Ives, par exemple, qu'on aurait pu programmer.   

Une précision concernant le Mozart. L'OSM, qui a toujours annoncé la Symphonie no 40, a fait savoir il y a quelques jours que celle-ci était remplacée par le Concerto pour flûte et harpe. Or, hier soir, Zarin Mehta et l'ex-Montréalais Robert Langevin, présentement flûte-solo du «New York Phil» et soliste du Concerto, m'ont l'un et l'autre confirmé que le choix du Concerto datait de plusieurs mois déjà. Oui, plusieurs mois. L'OSM a tout simplement oublié de nous en avertir...   

Dira-t-on que le nouveau venu Alan Gilbert est un grand chef d'orchestre et qu'il est appelé à faire partie de la prestigieuse dynastie des Mengelberg, Toscanini, Barbirolli, Rodzinski, Mitropoulos, Bernstein et Maazel auxquels l'orchestre américain doit sa renommée? À la télévision, cela s'appelle «la question qui tue». Je renonce à y répondre pour l'instant.   

Bien que je trouve gênant de voir M. Gilbert diriger avec ses partitions devant lui -un petit effort pour cette tournée eût été de mise-, je reconnais que ces partitions, il les possède. Dans le Wagner, il fait chanter les cordes unifiées avec lyrisme, il fait sonner les cuivres avec aplomb, il anime l'orchestre tout entier d'une énergie envahissante, et plus particulièrement dans la Bacchanale tapageuse et, avouons-le, un rien vulgaire.   

J'ignore où en sont les fameux tests acoustiques. À la corbeille, en tout cas, le son était parfait hier soir: aucune surcharge, aucune stridence. Toutes les qualités strictement orchestrales révélées dans le Wagner servirent admirablement les 71 minutes de la cinquième Symphonie de Mahler. M. Gilbert clarifie les contrepoints mahlériens et crée ainsi à travers tout l'orchestre, depuis les profondeurs des contrebasses jusqu'au suraigu des bois, des étagements de couleurs qui multiplient, en quelque sorte, le délire auquel on assiste. Ce délire, il n'est plus à un ou deux endroits seulement: il est partout à la fois.   

On pourrait détailler encore et encore. Ainsi, au deuxième mouvement, la poignante entrée des violoncelles, «molto cantando», à l'apparition du deuxième sujet, en fa mineur. Mahler indique ensuite une longue pause, que M. Gilbert ne fait pas. Au Scherzo, les appels du cor révèlent un grand technicien et, surtout, un réel interprète. Le célèbre Adagietto, confié aux cordes seules et à la harpe (et qu'a immortalisé le cinéma), découvre de très minimes problèmes d'intonation et, surtout, manque un peu d'expression. À 44 ans, Alan Gilbert n'a pas encore atteint ce très haut niveau. Mais tous les espoirs sont permis.   

NEW YORK PHILHARMONIC. Chef d'orchestre: Alan Gilbert. Hier soir, Maison symphonique de Montréal, Place des Arts. Présentation: Orchestre Symphonique de Montréal.

Programme:

Ouverture (1845) et Venusbergmusik (1861) de l'opéra Tannhäuser - Wagner

Symphonie no 5, en do dièse mineur (1901-04) - Mahler