La jeune mezzo-soprano connaît une année exceptionnelle. Après le Met de New York, L'Opéra-Comique de Paris... Et ce n'est qu'un début!

Les chanteurs (et chanteuses) d'opéra ont la réputation d'être extravagants et parfois insupportables. Julie Boulianne, dont la carrière a connu une accélération soudaine en 2011, notamment à New York et à Paris, aurait plutôt tendance à faire dans la discrétion la plus totale.

Tout récemment, elle a tenu l'un des premiers rôles féminins des Brigands, célèbre opéra bouffe d'Offenbach à l'Opéra Comique de Paris, une magnifique salle à l'italienne, sorte de Palais Garnier en modèle réduit. Un lieu historique, dirigé depuis 2005 par Jérôme Deschamps, l'un des metteurs en scène les plus inventifs et cotés de Paris.

Sa mise en scène des Brigands, créée en 1993 à l'Opéra Bastille, est un monument de drôlerie et d'ironie. Une dizaine d'années après avoir fait son entrée dans le métier - tout en continuant son apprentissage, notamment à la prestigieuse Juilliard School de New York -, Julie Boulianne vient d'entrer, à 33 ans, dans le cercle des grandes salles parisiennes.

Son attaché de presse montréalais s'empresse de le faire savoir. Il s'agit d'une étape importante dans une jeune carrière. Le 22 juin, soir de la première, l'orchestre, les trois balcons et les loges de la salle Favart sont remplis à craquer. Julie Boulianne, habituée aux rôles travestis comme beaucoup de mezzo-sopranos, incarne le rôle du jeune Fragoletto, et le grand air du premier acte suscite la première ovation de la soirée. Deux jours plus tard, une première critique parue sur un site professionnel la juge «étonnante et excellente». Mais notre héroïne a opté pour la modestie.

J'ai rendez-vous avec elle dans un bistrot voisin de la salle Favart. Elle ne veut surtout pas qu'on parle de «triomphe parisien». Pour la même raison, elle refuse qu'on fasse des photos: «C'est une étape importante, dit-elle, mais ce n'est pas LA consécration. Si on traitait l'événement de cette manière, je me sentirais mal à l'aise, car il y a d'autres jeunes chanteurs d'opéra québécois qui font actuellement de belles carrières en France et en Europe.»

Et elle s'empresse d'énumérer une demi-douzaine de noms qui s'illustrent dans les grandes maisons européennes: la soprano Hélène Guillemette, qu'on a vue notamment au théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, le ténor Frédéric Antoun qui s'est déjà produit - entre autres - au Châtelet à Paris et à l'opéra de Toulouse et s'apprête à faire Covent Garden, Amsterdam et Vienne.

Sans oublier le baryton Jean-François Lapointe, qu'on voit régulièrement en France et en Europe, notamment au Théâtre des Champs-Élysées, à l'Opéra Comique, à Barcelone, Berlin ou Amsterdam.

Comme pour montrer qu'elle ne fabule pas - et qu'elle ne craint pas la concurrence -, Julie Boulianne a donné rendez-vous à une autre mezzo, Michèle Losier, qui arrive au milieu de l'entretien. Brune au visage de tragédienne, cette demi-Acadienne est établie à Paris, où se trouve son fiancé, et sillonne l'Europe depuis trois ou quatre ans: elle a à son actif la Scala de Milan et l'Opéra Comique, et s'apprête à faire coup sur coup le Festival de Salzbourg (Cosi fan tutte), le Théâtre des Champs-Élysées et le Met de New York. Mme Losier a une personnalité flamboyante et affiche avec autorité un palmarès impressionnant.

Tout le contraire de la menue Julie Boulianne qui, du haut de ses cinq pieds et deux pouces, donne un peu l'impression de vouloir minimiser ses exploits: «Il est certain que, d'un point de vue strictement musical, le rôle de Fragoletto et la musique d'Offenbach ne constituent pas des sommets de l'art lyrique, dit-elle. J'ai accepté [la proposition] avec plaisir, mais parce que c'était une mise en scène de Jérôme Deschamps et que cela se passait à la salle Favart à Paris.»

L'importance du Met

Ce qu'elle ne dit pas volontiers, c'est que, depuis une petite année, elle a elle-même fait son entrée dans les ligues majeures, sans tambour ni trompette. Si Jérôme Deschamps l'a choisie pour le rôle de Fragoletto, c'est parce qu'il s'est déplacé jusqu'à New York pour trouver l'oiseau rare, alors qu'elle venait de se produire à deux reprises au Met, dans Iphigénie en Tauride, puis dans Roméo et Juliette, où elle était dirigée par Placido Domingo.

«D'entrer pour la première fois au Met ne suffit pas à bouleverser une carrière de façon définitive, mais c'est une étape décisive, dit-elle. Des directeurs de grandes maisons d'opéra du monde entier s'intéressent à vous. Et des agents renommés acceptent de vous prendre dans leur écurie. Ce n'est pas automatique, mais, parfois, tout s'enchaîne. De la même manière, le fait d'avoir fait la Juilliard School a joué un rôle, car c'est une institution de référence. Les gens du Met m'avaient vue dans une production de Juilliard, on avait fait connaissance, et c'est un peu de cette manière que je me suis trouvée à être embauchée...»

Julie Boulianne avait déjà un agent de premier plan à New York. Elle vient d'en trouver un autre à Paris, ce qui est fort utile pour la suite de sa carrière européenne. Mais chut! L'affaire n'est pas encore coulée dans le béton...

De la même manière, cette diva miniature, naturellement destinée aux rôles de pages et de fées, reste évasive en ce qui concerne un troisième projet en cours pour le Metropolitan de New York. Et encore plus vague pour ce qui est de deux engagements à venir dans deux maisons d'opéra européennes «de tout premier plan». Palais Garnier? Covent Garden? La Scala? Les paris sont ouverts.

Pour ménager la modestie de notre mezzo colorature originaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, on dira qu'elle fait partie intégrante de cette demi-douzaine de chanteurs québécois qui sont vraiment en orbite dans l'univers européen de l'opéra.

Julie Boulianne fait partie des solistes du concert d'ouverture du Festival de Lanaudière, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, samedi, à 19h.