Il y a des choses qui se sentent. Par exemple, qu'une certaine Marie-Ève Munger, 30 ans, ravissante brune originaire du pays des bleuets, pourrait être, un de ces jours prochains, une vedette du monde de l'opéra. Le chemin parcouru en deux ou trois ans de vie professionnelle est déjà impressionnant. Et son agenda est rempli jusqu'en 2013.

«C'est vrai, ça fait un bon début de carrière», constate-t-elle sobrement, assise à la terrasse du Nemours, sous les fenêtres de la Comédie-Française, à deux pas du Palais-Royal, des colonnes de Buren et du ministère de la Culture.

Quasiment inconnue, Marie-Ève Munger se produisait récemment dans une création d'opéra intitulée The Second Woman aux Bouffes du Nord, vieux théâtre à l'italienne ressuscité en 1971 par Peter Brook et devenu l'un des plus chics de Paris.

Les critiques ont été enthousiastes dans tous les médias importants, et on a donné la dizaine de représentations à guichets fermés du 28 avril au 13 mai. Le spectacle a déjà de nombreuses dates européennes de tournée d'ici à 2012. Comment passe-t-on de Jonquière aux Bouffes du Nord (et au théâtre du Châtelet, où Marie-Ève est désormais une habituée) sans que les médias québécois en soient alertés?

En vérité, on se doit de dire que Le Quotidien de Chicoutimi a toujours suivi à la trace sa compatriote, d'autant plus que celle-ci s'était retrouvée, à 25 ans, directrice artistique de la Compagnie d'opérette du Saguenay, de 2006 à 2009!

Tout est allé si vite dans cette jeune carrière que notre héroïne n'a même pas eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait, encore moins de soigner sa publicité.

Marie-Ève Munger vient d'une famille où tout le monde chantait: «Ma mère était chef de choeur et mon père - mécanicien - avait une superbe voix de ténor. J'ai commencé à chanter sur scène à l'âge de 8 ans. À 15 ans, je donnais six spectacles par semaine.»

À 19 ans, elle s'inscrit à l'école de musique de McGill: chant, solfège, histoire de la musique, théorie, apprentissage de langues étrangères. Et, pour payer ses cours, elle est chanteuse pop, performante mais anonyme, notamment dans un certain Cinemashow, qu'elle donnera pendant quelques années: «Dix fois par semaine au Casino de Montréal, une année en tournée aux États-Unis, quasiment 500 représentations!»

À la sortie du bac et de la maîtrise, la voilà, en 2007, en repérage à Paris. Frappant à la porte de deux agents. Le second - une femme - est emballé et la prend sous son aile. Elle conseille à la chanteuse de faire le concours d'art lyrique de Marmande, près de Bordeaux: «Pour elle, c'était simplement une manière de m'habituer aux auditions, qui sont toujours une épreuve terrible. J'y suis allée, et j'ai gagné le premier prix! Or, le jury à Marmande est composé de directeurs de théâtre, et le concours est fréquenté par les professionnels.»

La voilà donc engagée, coup sur coup, à l'opéra de Tours pour y tenir un premier rôle, puis au Châtelet à Paris pour une création contemporaine «flyée» et à Metz pour le rôle d'Ophélie dans Hamlet d'un certain Ambroise Thomas. Marie-Ève, qui est soprano colorature, a un registre étonnant dans les aigus, mais aussi dans les graves, bref une voix remarquable, en plus d'être jeune et jolie, ce qui ne nuit pas. Les responsables de Metz et du Châtelet sont conquis, et elle a maintenant son rond de serviette dans ces deux théâtres. Revenue au Châtelet en mai 2010 pour un opéra (discuté, mais remarqué) de Villa-Lobos, elle doit retourner à Metz pour y tenir l'un des premiers rôles dans Falstaff de Verdi.

Expérience américaine

Comme la jeune femme est énergique, elle a aussi tenté sa chance à New York, où un ami lui a obtenu un précieux rendez-vous avec une agente de premier plan: «Elle avait très peu de temps et moi, je n'avais rien préparé. J'ai donc fait les deux premières pages d'Ophélie. Puis elle a dit: "Allons prendre un café." Et dans l'ascenseur: "Vous êtes aussi bonne qu'on me l'avait dit."»

Depuis, son carnet de commandes américain ne cesse de se remplir. Marie-Ève a donné beaucoup de récitals, participé à des festivals, interprété «des messies, des requiem». Sur son programme américain des 18 prochains mois, on trouve notamment deux opéras de Mozart, Idoménée - au Florentine Opera de Milwaukee -, ainsi qu'une oeuvre de jeunesse «brillante et difficile», Le songe de Scipion, pour le Gotham Chamber Orchestra de New York.

Aussitôt après la dernière représentation de The Second Woman, elle s'envolait pour Montréal où - fidélité oblige - elle donnait un concert-bénéfice au profit de la Compagnie d'opérette du Saguenay. Avant de repartir pour New York. «Cet été, je n'ai presque rien», se défend-elle. Elle en profitera donc pour enregistrer un disque de mélodies françaises d'un compositeur méconnu.

«Mon problème, plaisante-t-elle, c'est que j'aime tout en musique: le baroque, le répertoire mozartien, la musique française, Richard Strauss et même l'opérette!» Et bien sûr les créations d'avant-garde, même les plus ardues.

Début de carrière plus que prometteur, donc, dans ce monde frénétique de l'opéra. Mais Marie-Ève Munger garde en tête les trois conseils que la grande Maureen Forrester prodiguait aux plus jeunes: «Arrivez toujours à l'heure. Soyez préparée de façon impeccable. Soyez souriante avec tout le monde. Et voilà!»

Une carrière de haut niveau dans le monde redoutable de l'opéra, ce n'est pas si compliqué, en somme.