L'Orchestre Symphonique de Montréal reçoit cette semaine deux vieilles connaissances: Rafael Frühbeck de Burgos, 77 ans, qui fut brièvement son titulaire en 1975-76, et le pianiste Anton Kuerti, 72 ans, son soliste en maintes occasions.

Les deux invités occupent presque la même période de temps. En première partie, Kuerti fait l'Empereur en 42 minutes. Après l'entracte, Frühbeck en prend 45 pour La Mer et la suite de 1919 de L'Oiseau de feu. Mais le héros de la soirée, c'est Kuerti.

Que l'homme soit d'un commerce difficile, que certains mettent en doute son autorité en ce qui concerne Beethoven, qu'on vienne même (comme hier soir) me souffler à l'oreille qu'«il devrait prendre sa retraite»: autant de points qui ne modifient pas d'un iota mon opinion du musicien.

J'ai entendu Kuerti jouer Beethoven je ne sais plus combien de fois: les concertos et les sonates, en concert et au disque. J'ai rarement été déçu. Cette fois, il reprend l'Empereur, ce cinquième et dernier concerto qui fait partie de ces oeuvres qu'on croit ne plus pouvoir entendre, tellement elles reviennent sans cesse dans les programmes.

Contre toute attente, ce fut une expérience continuellement stimulante, comme le troisième Concerto dimanche dernier avec Bavouzet. Kuerti s'est tellement identifié à la musique de Beethoven, pendant toutes ces années, qu'il en est venu à ressembler au compositeur! Crinière en bataille mise à part, le pianiste torontois signe un Empereur d'une pensée toujours intense et d'une étonnante fraîcheur pianistique. Ainsi, au mouvement lent, il donne un sens aux petits dessins répétés sans fin aux deux mains, tels des motifs d'architecture. Devant un résultat aussi génial, quelques fausses notes n'ont aucune espèce d'importance.

L'oeil et la baguette de Frühbeck l'ont suivi à la seconde, et presque au-dessus du clavier à certains moments!

Avec les Debussy et Stravinsky d'après-entracte, Frühbeck se retrouve lui aussi en terrain familier et dirige de mémoire. De même, l'OSM connaît bien ces oeuvres et les rend avec son habituelle virtuosité. Et pourtant, La Mer est une totale déception. Il n'y a là aucune respiration, aucune magie; plutôt, un tapage épouvantable qui rappelle Respighi. L'Oiseau de feu est davantage une musique à effet. Frühbeck s'y montre plus à l'aise et, comme toujours, la Danse infernale fait sursauter la salle.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Rafael Frühbeck de Burgos. Soliste: Anton Kuerti, pianiste. Hier soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts; reprise ce soir, 20 h. Série Grands Concerts.

Programme:

Concerto pour piano et orchestre no 5, en mi bémol majeur, op. 73 (Empereur) (1809-10) - Beethoven

La Mer (1903-05) - Debussy

Suite du ballet L'Oiseau de feu (1919) - Stravinsky