James Conlon est chef invité à l'Orchestre Symphonique de Montréal depuis ses années d'apprentissage. De cette lointaine période où le débutant américain venait ici faire ses classes, je garde un souvenir plutôt amer. Tout cela est chose du passé. À 61 ans, Conlon est devenu, je pense, un chef important. Le concert qu'il a dirigé hier soir fut une expérience passionnante du commencement à la fin. J'en recommande chaleureusement la reprise de ce soir, laquelle sera d'ailleurs radiodiffusée en direct. Que, pour une fois, notre chère Radio nationale serve à promouvoir un produit de la plus haute qualité, c'est une occasion à ne pas manquer!

Le point culminant du concert, c'est, bien sûr, la cinquième Symphonie de Chostakovitch, qui occupe les 50 minutes d'après-entracte. Écho du régime de terreur qu'eut à subir le compositeur soviétique et, en même temps, extraordinaire illustration de grande virtuosité orchestrale, cette oeuvre compte parmi celles que j'aime par-dessus tout; je crois d'ailleurs en connaître la majorité des très grandes versions au disque.

Dirigeant de mémoire - chose de plus en plus rare dans nos concerts d'orchestre! -, James Conlon signe là une interprétation qui rejoint les plus bouleversantes que j'aie entendues. Le départ est quelque peu hésitant, mais l'atmosphère s'installe très vite. L'orchestre tout entier fait corps avec lui et épouse sa vision de l'oeuvre, résultat évident d'une profonde réflexion.

Au lyrisme poignant du premier mouvement succède le Scherzo, où Conlon souligne le côté moqueur et quasi mahlérien de la rare petite clarinette et des autres bois. Au Largo, il détache une à une les voix qui montent des cordes en divisi (trois parties de violon, deux d'alto et deux de violoncelle) et fait planer sur la masse des archets trois ou quatre instruments isolés, dont la harpe. Le finale est explosif, rageur, terrifiant. Et l'ovation est en accord.

James Conlon s'était imposé dès son entrée avec trois extraits de La Damnation de Faust, de Berlioz. L'ordre du programme est changé et deux des titres donnés ne sont pas conformes à ceux de la partition. Conlon donne d'abord la vedette aux bois aériens dans le Menuet des follets. Il commande ensuite des cordes d'une extrême délicatesse pour le Ballet des sylphes accompagnant le rêve de Faust. Enfin, il lance les cuivres dans une tonitruante Marche hongroise.

Pur hasard, sans doute, tout le programme fut enregistré à la grande époque Dutoit-OSM. En fait, les deux Concertos de Ravel furent enregistrés deux fois, d'abord avec Pascal Rogé, ensuite avec Jean-Yves Thibaudet. Celui-ci revient, à 50 ans, jouer le Concerto en sol majeur et le traverse encore avec toute la technique requise. On souhaiterait simplement un peu plus de poésie et d'imagination dans les longues séquences du piano seul. À l'orchestre, Conlon multiplie les couleurs criardes, tout à fait Années folles et de circonstance, même si rien dans la partition n'autorise d'en faire tant!

Concernant la partition, l'OSM indique «opus 43» pour le Concerto de Ravel. Il s'agit, bien sûr, d'une première mondiale puisque, comme chacun sait, il n'y a pas de numéro d'opus chez Ravel.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: James Conlon. Soliste: Jean-Yves Thibaudet, pianiste. Hier soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts; reprise ce soir, 20 h. Série «Grands Concerts». (Radiodiffusion en direct du concert de ce soir à Radio-Canada.)

Programme:

Menuet des follets, Ballet des sylphes et Marche hongroise, ext. de La Damnation de Faust, op. 24 (1846) - Berlioz

Concerto pour piano et orchestre en sol majeur (1930-31) - Ravel

Symphonie no 5, en ré mineur, op. 47 (1937) - Chostakovitch