Le 22 mars 1996, un jeune musicien totalement inconnu du nom de Yannick Nézet-Séguin, 21 ans, ancien choriste d'église, m'invitait à son concert dans un sanctuaire de l'avenue du Mont-Royal. Avec la Chapelle de Montréal, le petit groupe qu'il avait fondé l'année précédente, il s'attaquait à la Passion selon saint Jean de Bach, rien de moins. Le nouveau venu s'y produisait comme chef; il chantait même l'un des airs de ténor.

L'invitation avait piqué ma curiosité. Ce que j'avais entendu ce soir-là n'était pas parfait, on s'en doute bien. Par contre - et je citerai un passage de ma critique -, on notait «chez ces très jeunes musiciens, stimulés par leur très jeune chef, une fraîcheur, un enthousiasme, une sorte de sympathique naïveté, même, qui forcent l'écoute et retiennent l'attention». Yannick Nézet-Séguin venait de recevoir sa première critique de concert.

Aujourd'hui, 15 ans plus tard, il a déjà derrière lui un parcours des plus impressionnants. On dirait que toutes les portes s'ouvrent devant lui, les unes après les autres.

Tout en conservant son poste de chef de l'Orchestre Métropolitain - auquel il tient, aime-t-il répéter -, il est titulaire de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam, premier chef invité au London Philharmonic, invité et réinvité au Festival de Salzbourg, il dirigera pour la première fois à La Scala de Milan en juin, et héritera en septembre 2012 de la baguette des Stokowski et Ormandy au Philadelphia Orchestra.

L'année 2010 l'aura vu atteindre les plus hauts sommets de l'opéra et du concert. Au Metropolitan de New York, le théâtre lyrique le plus important au monde, il a d'abord dirigé Carmen de Bizet en début d'année et, tout récemment, Don Carlo de Verdi. Les diffusions du Met en direct dans quelque 1350 cinémas de 45 pays ont valu à notre jeune concitoyen un auditoire additionnel d'environ 2 400 000 spectateurs.

De l'autre côté de l'Atlantique, en octobre, Nézet-Séguin est monté au pupitre de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, la formation symphonique la plus prestigieuse du globe, marchant ainsi sur les traces des légendaires Furtwängler et Karajan.

New York, Berlin. L'ancien petit choriste de l'avenue du Mont-Royal peut-il souhaiter mieux en fait de carrière? Des rumeurs en font le successeur de James Levine à la direction musicale du Met et de Sir Simon Rattle à Berlin. Après ce qu'il vient d'accomplir, rien n'étonnerait.

Pour l'instant, c'est l'unanimité. Chez les musiciens qui travaillent avec lui, dans le public qui l'écoute, chez les critiques qui l'observent, partout, c'est le même concert d'éloges devant sa connaissance des partitions, l'art avec lequel il amène chanteurs et orchestres à s'y identifier et, avant tout, la profondeur de ses interprétations. Une profondeur qui était déjà là il y a une décennie lorsqu'il faisait ses premières armes. Une profondeur que les chefs les plus doués n'atteignent habituellement qu'avec la cinquantaine.