La Tétralogie, ou Le Ring, est certainement une fascinante expérience musicale, mais elle est surtout une extraordinaire épopée théâtrale et demeure un défit sans précédent pour un metteur en scène.

Ce corpus de quatre opéras constitué d'un prologue et de trois journées exige une conception rigoureuse basée sur une grande connaissance du livret entièrement rédigé par Wagner. La réalisation de ce gigantesque projet est devenue, depuis les réalisations du petit-fils du compositeur, Wieland Wagner, dans le «Neues Bayreuth» de l'après-guerre, un passage obligé pour toute maison d'opéra qui veut faire sa marque.

Le Ring est même devenu le laboratoire de tous les excès, comme si la démesure de l'oeuvre commandait une telle folie. Il faut dire que le livret, d'une grande complexité psychologique, est truffé de symboles et de références susceptibles de nourrir les analyses psychanalytiques les plus fouillées.

Si plusieurs productions ont été immortalisées sur DVD (nous en avons dénombré sept offertes sur Amazon), peu d'entres elles réussissent à passer le test de l'écran. Comme il s'agit d'une longue traversée de près de 16 heures de visionnement en continu, nous avons voulu ne retenir que quatre choix, basés uniquement sur l'expérience visuelle et théâtrale globale, sans nous attarder à la qualité musicale et vocale de chacune d'elles.

1. Metropolitan Opera House New York, James Levine-Otto Schenk

Une production entièrement construite autour du respect du texte et des indications scéniques dont Wagner a annoté ses partitions. Articulée autour d'une conception naturaliste, les décors, les costumes et la mise en scène sont teintés d'une authenticité certaine qui nous laisse entrevoir à quoi pouvait bien ressembler Le Ring à sa création, à Bayreuth.

Malheureusement, ce respect inconditionnel du texte fait vite dater cette conception qui nous apparaît conventionnelle. Nous l'avons surtout retenue puisqu'il s'agit de la production qui a précédé celle réalisée par Lepage et elle a tenu l'affiche 25 années à New York. Deutsche Grammophon, 7 DVD.

2. Bayreuther Festpiele, Daniel Barenboim-Harry Kupfer

Complètement à l'opposé de la précédente, cette production futuriste et baroque à la fois mélange laser, néons, constructions de métal et de verre, machines mécaniques et costumes de latex et de plastique. Nous voilà transportés dans un monde intemporel dans lequel les frontières entre les mondes des nains, des hommes, des géants et des dieux sont indéfinies et se juxtaposent au gré de tableaux d'une grande cohésion visuelle dans un monde post-nucléaire d'une grande violence. Finalement, il s'agit d'un univers plus près de La guerre des étoiles que du Ring naturaliste d'Otto Schenk. Warner-Classics, 7 DVD.

3. Bayreuther Festpiele, Pierre Boulez-Patrice Chéreau

La référence absolue qui n'a jamais été dépassée. Production du centenaire de la création, cette formidable conception avait fait scandale à l'époque. Personne depuis n'a réussi une telle unité d'esprit et une telle cohérence d'un bout à l'autre des quatre opéras. Une véritable pensée originale et respectueuse du texte dans une transcription osée de l'univers wagnérien en pleine révolution industrielle et sociale européenne. La mise en scène, riche en symboles et références à la lutte des classes entre travailleurs, bourgeois et membres de la noblesse, est un véritable poème visuel. Chéreau a abandonné l'univers de la mythologie pour celui des hommes. Une production qui fait désormais partie de la grande histoire du Ring. Chaque opéra compte des moments théâtraux et visuels inoubliables. Si on ne doit posséder qu'un seul Ring en images, c'est celui-ci sans aucun doute. On sort bouleversé par cette conception profondément humaine de cette gigantesque épopée. Philips, 7 DVD.*

4. Orquestra de la Comunitat Valenciana Zubin Methha-La Fura dels Baus.

Qualifiée de Ring du XXIe siècle, cette production de tous les excès est la dernière éditée en DVD. On est soit perpétuellement agacé, soit fasciné par ce pur délire de projections vidéo surchargées de symboles les plus hétéroclites. Les décors parfois composés de véritables sculptures humaines, les costumes à la limite du grotesque de la bande dessinée ou du manga japonais, les machines, les grues et gadgets de toutes sortes (le dieu Loge qui se déplace en Segway) nous transportent dans un univers qui n'a souvent plus rien à voir avec le monde imaginé par Wagner. Une curiosité fascinante qui comporte plusieurs moments visuels d'une beauté et d'une richesse à couper le souffle. Nous ne sommes ni chez les dieux ni chez les hommes, mais dans un univers unique qui relève du fantasme pure. Unitel Classica, 8 DVD.

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* Il existe également un documentaire très intéressant de Peter Weinberg sur la réalisation de cette aventure hors du commun, éditée chez Deutsche Grammophon.