Le programme double qui ouvre la 30e saison de l'Opéra de Montréal est l'une des grandes réussites de notre compagnie lyrique. L'OdM reprend le même couplage qu'en 1991, cette fois en ordre inverse, soit Pagliacci en premier, Gianni Schicchi ensuite, le tout, bien sûr, dans une présentation entièrement nouvelle à tous les égards: décors, costumes, mise en scène et distribution.

C'est d'abord le spectacle lui-même qui impressionne. Voici, de la part d'Alain Gauthier, de la grande mise en scène, comme le requièrent ces deux opéras où le théâtre compte autant que le chant. Que le spectacle débute devant un plateau nu assorti des spots de service, que l'action des deux pièces soit transposée à notre époque (ou presque: 1950) et qu'une automobile traîne la roulotte de Pagliacci depuis la Calabre jusqu'à Florence, où se déroule Gianni Schicchi, cela n'ajoute rien aux sujets mais, au moins, ne leur nuit pas, comme c'est trop souvent le cas. L'essentiel est là: les personnages des deux opéras sont extraordinairement vrais, tous les chanteurs jouent comme des comédiens, signe que la direction d'acteurs a été extrêmement efficace.

Mon goût d'une certaine tradition me fait préférer la présente conception de Pagliacci, où le vérisme est poussé à l'extrême, où l'atmosphère de village italien est bien recréée (le petit spectacle de commedia dell'arte, la procession avec statues), mais, en même temps, j'admire l'imagination déployée sur Gianni Schicchi, y compris cette maison très stylisée dont les murs disparaissent pour découvrir les deux amoureux, seuls, bien que je trouve un peu calculée la chorégraphie de la famille pleurnichant autour du défunt.

Marc Hervieux fut le héros de la prima, samedi soir, poussant sa voix de stentor au maximum pour exprimer tout le désespoir du mari trompé de Pagliacci et se jetant sur sa femme puis sur l'amant de celle-ci avec une violence épouvantable. Marie-Josée Lord, en épouse coupable, projeta une bonne voix et afficha beaucoup de présence. Compositions convaincantes chez Gregory Dahl et Étienne Dupuis, charmant numéro de ténor léger chez Pascal Charbonneau.

Dahl fut brillant et amusant dans le rôle-titre de Gianni Schicchi, Marianne Fiset chanta à ravir le seul air connu du petit opéra de Puccini et Marie-Nicole Lemieux se détacha de l'ensemble par un jeu d'une étonnante efficacité. Seule faiblesse: la voix d'Antoine Bélanger.

Dans la fosse, l'Américain James Meena tira d'un détachement de 60 musiciens de l'OSM une superbe sonorité d'orchestre et un exemplaire accompagnement des chanteurs.

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«PAGLIACCI», opéra en deux actes, livret et musique de Ruggiero Leoncavallo (1892) et «GIANNI SCHICCHI», opéra en un acte, livret de Giovacchino Forzano, musique de Giacomo Puccini (1918). Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 30 septembre, 3, 5 et 8 octobre, 20 h. Avec surtitres français et anglais.

Distributions (rôles principaux): Pagliacci: Canio: Marc Hervieux, ténor Nedda: Marie-Josée Lord, soprano Silvio: Étienne Dupuis, baryton Tonio: Gregory Dahl, baryton Beppe: Pascal Charbonneau, ténor Gianni Schicchi: Gianni Schicchi: Gregory Dahl, baryton Lauretta: Marianne Fiset, soprano Rinuccio: Antoine Bélanger, ténor Zita: Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano Mise en scène: Alain Gauthier Décors: Olivier Landreville Costumes: Joyce Gauthier Éclairages: Claude Accolas Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Symphonique de Montréal. Direction musicale: James Meena