La Cité de la musique à Paris consacrera à partir de mardi un «domaine privé» au Néerlandais Gustav Leonhardt, un pionnier et un maître du renouveau baroque qui rendra hommage à un compositeur dont le monde musical fête le 350e anniversaire de la naissance, Henry Purcell.

Jusqu'au 19 septembre, «l'Orphée britannique» (né le 10 septembre 1659, mort en 1695) sera au programme d'une table ronde et de cinq concerts joués au clavecin et à l'orgue -- les instruments de Gustav Leonhardt, 81 ans -- mais aussi en formations de chambre ou orchestrales. Ce n'est pas Purcell mais Bach qui a imposé Gustav Leonhardt, honnête homme au geste musical aussi rigoureux qu'imaginatif, au panthéon de l'interprétation sur instruments anciens. Son nom reste associé à l'enregistrement intégral, entre 1971 et 1990, des près de 200 cantates sacrées du Cantor avec l'Autrichien Nikolaus Harnoncourt, son presque jumeau (80 ans en décembre).

Très tôt engagé en faveur de Bach -- il a enregistré les «Variations Goldberg» au clavecin dès 1953 --, Leonhardt l'a même incarné au cinéma dans la «Chronique d'Anna Magdalena Bach» (1967) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub.

Si le musicien aime Bach d'un amour quasi divin, il «adore» Purcell. «C'est un des quatre ou cinq plus grands compositeurs pour moi», glisse-t-il dans un entretien à l'AFP.

Problème: l'Anglais a peu écrit pour les claviers de Leonhardt. Ses pièces pour clavecin n'étant pas assez nombreuses pour occuper une soirée, le Néerlandais en donnera d'autres, à la Cité, en compagnie de ses amis belges les Kuijken (Sigiswald et sa fille Sara au violon, Wieland à la viole de gambe).

L'orgue, auquel Leonhardt a consacré son premier disque (en 1950), ne sera pas oublié: le maître jouera l'instrument nouveau de Saint-Louis-en-l'Île, conçu selon une esthétique (baroque d'Allemagne du nord) qui permettra de confronter Purcell à des compositeurs flamands et allemands.

Son Purcell sera aussi vocal (musique sacrée), mais pas lyrique. Pas de «Didon et Enée», de «King Arthur» ou de «Fairy Queen» au programme: Leonhardt a renoncé de longue date à l'opéra, en tout cas en version scénique.

«J'ai eu de mauvaises expériences avec des metteurs en scène. Il y en a trop qui veulent se présenter comme des novateurs, je ne veux plus faire ça», explique le chef.

Le répertoire instrumental, de toutes façons, suffit à son bonheur. Avec le legs des XVIIe et XVIIIe siècles, «je dispose de la plus grande littérature qui ait jamais été écrite pour le clavier», s'enflamme-t-il. «Pour l'orgue et le clavecin, c'est énorme, sans fin».

La direction n'est pas au coeur de ses préoccupations. «Cela a toujours été été un à-côté: je n'ai pas de choeur, pas d'orchestre, pas de baguette ! Je ne dirige que quand des ensembles existants me le demandent», rappelle-t-il.

  Longtemps pédagogue recherché, Leonhardt n'enseigne plus depuis quinze ans. «Un bon élève est un élève qui n'a pas besoin de maître», fait-il valoir. Il pense en outre avoir «plus ou moins fini d'enregistrer», lui qui a gravé près de 300 disques, dont 200 en solo. «J'en ai fait assez, et je suis âgé», dit-il sans regrets.

Mais il continue de jouer en public, en «serviteur» plus qu'en interprète de la musique, comme il aime à se définir. Et le maître relit son glorieux passé sans orgueil particulier: «J'ai fait mon devoir, je crois, et c'est tout».