Jacques Drouin, le pianiste attitré du Nouvel Ensemble Moderne, avait eu deux idées intéressantes: il décidait de se produire seul, pour une fois, et axait son programme sur l'étude, genre musical centré sur un aspect particulier d'exécution et que nombre de compositeurs ont traité à travers les âges.

En première moitié de récital, Drouin enfilait, et de mémoire, 12 études d'autant de compositeurs. L'ordre chronologique eût été plus instructif que le pêle-mêle adopté, mais le pianiste avait sans doute ses raisons de choisir cette succession.

 

Le cher Czerny qui fait peiner tous les étudiants en piano ouvre la rétrospective avec ce que le programme donne comme la première pièce du cahier op. 740. Drouin traverse avec une mécanique presque parfaite ce pur exercice digital en mouvement perpétuel. L'élève Liszt suit immédiatement avec Feux follets, cinquième des 12 Études d'exécution transcendante. Ici, on se contentera de remarquer que Drouin a, comme on dit familièrement, «un peu de misère». Il a plus de chance dans les doubles notes de l'Étude op. 10 no 7 de Chopin.

Du même répertoire romantique et familier, il a choisi l'Étude op. 8 no 9 de Scriabine et l'Étude-Tableau op. 39 no 5 de Rachmaninov. Il possède la puissance d'octaves requise dans le premier cas et le résultat s'annonce aussi bon dans le second, sauf que le pianiste saute au moins deux pages dans le Rachmaninov.

Il s'était également passé quelque chose d'étrange juste avant, dans la troisième Étude de Pascal Dusapin. On a entendu le pianiste marmonner, on l'a vu sortir de scène, puis revenir et recommencer l'interminable morceau à la note répétée je ne sais plus combien de fois.

L'après-entracte était monopolisé par la deuxième Sonate de Boulez, oeuvre en quatre mouvements, de 1948 et donc d'un compositeur de 23 ans, mais d'une complexité et d'une difficulté déjà absolument déconcertantes. Drouin traverse ces 32 minutes de mémoire encore et, de toute évidence, sans le moindre problème.

Voilà le répertoire où il excelle. Dans l'Étude en style toccata, dite «pour les mains alternées», de Bruno Mantovani, c'est un prestigitateur qui jonglait sur le Fazioli du Bon-Pasteur. Bonne idée aussi d'inclure Debussy, Messiaen, Ligeti et Stravinsky. Curieusement, aucun compositeur d'ici ne figurait au programme. François Morel a pourtant écrit deux Études de sonorité qui reviennent souvent dans les concours. Drouin n'y a sans doute pas pensé.

La Chapelle était presque comble et plusieurs de nos compositeurs étaient présents.

JACQUES DROUIN, pianiste. Hier après-midi, Chapelle historique du Bon-Pasteur.