Qu'un jeune violoniste à peine connu monte un programme de récital très exigeant et digne d'un musicien de carrière, cela mérite le déplacement. Une bonne centaine de personnes, comme moi de cet avis, ont passé une partie de l'après-midi ensoleillé d'hier entre les murs du Bon-Pasteur à écouter Marc Djokic.

Le nouveau venu est issu d'une famille de musiciens de Halifax: la soeur est une violoncelliste déjà réputée comme soliste et le père, violoniste actif dans différents orchestres, fut le premier professeur du jeune homme. L'héritage musical est là, évident à chaque instant: dans le sens rythmique, dans le phrasé naturel, dans la sonorité égale, dans la justesse à peu près toujours parfaite.

Marc Djokic avait puisé son programme au répertoire du XXe siècle exclusivement et s'était adjoint le pianiste Paul Stewart, dont la présence a compté pour beaucoup dans cette réussite. Marc Djokic joua d'abord la transcription, signée Jascha Heifetz, des Three Preludes de Gershwin à l'origine pour piano, faisant bien contraster l'Andante central avec les deux Allegros qui l'encadrent. Puis Stewart demeura seul en scène pour un long extrait des Goyescas de Granados qu'on aurait dit chanté au piano.

Deux des sonates majeures du répertoire «moderne» pour violon et piano, la première de Prokofiev, op. 80, et celle de Ravel (en fait la deuxième si on tient compte de la petite «posthume»), trouvèrent ensuite les deux coéquipiers en pleine communion de pensée et les deux instruments en parfaite osmose sonore. Bien sûr, il est trop tôt pour parler de grandes interprétations. Ce que Marc Djokic nous a donné hier n'en reste pas moins du violon de haut niveau, aux plans technique et musical, ajoutant son nom à une belle lignée de violonistes d'ici: James Ehnes, Alexandre Da Costa, Jasper Wood.

Entre le Prokofiev et le Ravel, il glissa l'une des six Sonates pour violon seul de Ysaye. On entend habituellement la troisième. Il avait choisi la cinquième, avec les pizzicatos à la main gauche, et la fit de mémoire.

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MARC DJOKIC, violoniste, et PAUL STEWART, pianiste. Hier après-midi, Chapelle historique du Bon-Pasteur.