C'était, il y a une dizaine d'années, à l'entracte d'un concert donné par un quatuor à cordes américain réputé. Le programme précisait que les membres jouaient tous sur des Stradivarius prêtés par l'une des grandes collections des États-Unis, ce qui amena certains «connaisseurs» à affirmer en choeur et sans la moindre hésitation que ces instruments avaient effectivement une sonorité «absolument incomparable».

Renseignements pris, les musiciens ne jouaient pas sur leurs «Strads» ce jour-là mais sur leurs instruments habituels de travail. «Nous n'avons pas le droit de les sortir du pays!», m'avait indiqué l'un des musiciens à propos de ces précieux objets.

 

Cet incident m'est revenu à l'esprit en écoutant le disque où James Ehnes joue sur 12 instruments de la fameuse collection Fulton, soit neuf violons et trois altos, signés Stradivari, Guadagnini, Da Salo, Guarneri del Gesù et deux autres Guarneri.

L'idée n'est pas nouvelle. À l'époque du 33-tours, chez Decca américain, Ruggiero Ricci avait réalisé un tel disque-documentaire, avec 15 violons dont certains des mêmes luthiers. Mais le DVD n'existait pas alors. Aujourd'hui, grâce à ce procédé, on peut voir Ehnes jouer de ces instruments, les caresser et en parler comme d'amis ou d'êtres humains ayant une personnalité, décrivant même l'un d'eux comme «agressif».

Il n'y a là rien d'extraordinaire. La fréquentation quotidienne d'un instrument fait de celui-ci, en quelque sorte, le prolongement de son propriétaire et usager. L'exécutant, qu'il soit violoniste, pianiste, trompettiste, etc., devient un spécialiste et peut déceler les moindres différences de sonorité entre plusieurs instruments.

James Ehnes appartient sans doute à cette catégorie de musiciens et ses commentaires sur les différents instruments sont certainement pertinents. Qu'ils soient en anglais seulement, passe encore. Ce qu'on regrette, c'est qu'il n'explique pas pourquoi il a choisi tel violon ou tel alto pour telle pièce.

Quant au CD lui-même, il se présente comme un beau défilé d'instruments précieux aux sonorités très voisines. Les pièces pour violon sont de Ravel, Wieniawski, Kreisler, Tchaïkovsky, Sibelius, Bazzini, Falla, Elgar et autres; celles pour alto, de Vaughan Williams, Bruch et Berlioz. Elles mettent en valeur ces instruments mais, au-delà des instruments, la parfaite virtuosité et la belle musicalité de Ehnes.

JAMES EHNES, VIOLONISTE ET ALTISTE. AU PIANO: EDUARD LAUREL

«HOMAGE», CD ET DVD

ONYX, 4038 ****