Pas de doute, l'Opéra de Québec s'ouvre à la nouveauté en choisissant de mettre à l'affiche le doublé Bartok-Schoenberg. Ce spectacle, créé en 1993 à la Canadian Opera Company de Toronto, a permis à Robert Lepage de faire ses premiers pas sur la scène lyrique. Saluée partout où on l'a montée depuis, cette production n'en demeure pas moins avant-gardiste à plusieurs points de vue.

À la lumière de la première présentée à la salle Louis-Fréchette samedi, je peux moi-même témoigner du fait qu'une ado de 15 ans adhère instantanément à la proposition, alors que sa grand-mère, elle, rompue à une certaine tradition, a un peu plus de difficulté à en apprécier les qualités.

 

Pour ma part, je constate que la magie qui s'installe dès les premiers instants est de la même nature que celle que j'ai pu découvrir dans d'autres spectacles signés Robert Lepage, qu'il s'agisse de Vinci ou du Projet Andersen.

Un grand cadre doré installé à l'avant-scène, sur lequel on a tendu une toile transparente, circonscrit le théâtre de l'action. Cet écran, quoique assez inhabituel à l'opéra, crée un environnement rassurant et installe une distance confortable. Le spectateur se sent comme l'enfant qui ouvre un recueil de contes illustré, le soir, blotti au creux de son lit. C'est donc volontiers qu'on y plonge, en pressentant toutefois que le récit n'en sera pas moins sanglant.

L'approche cinématographique est peut-être ce qui frappe le plus dans la scénographie. Si l'esthétique du Château est hitchcockienne, comme certains ont pu le faire remarquer, celle d'Erwartung est nettement inspirée de l'oeuvre de Stanley Kubrick, qu'on pense à l'utilisation très réussie du ralenti ou encore à ces incroyables effets de rotation à 90 degrés de l'axe horizontal. On ne peut voir cela sans penser que Robert Lepage deviendra un cinéaste important le jour où on voudra bien lui en donner les moyens.

Dans la conception lepagienne, Erwartung (en allemand L'attente) apparaît d'une part comme un épisode de démence qui se joue dans l'esprit d'une patiente psychiatrique, une sorte de fenêtre ouverte sur l'égarement intérieur d'une femme trahie par son amant. D'autre part, c'est une sonate à la lune surréaliste, peuplée de visions et de leurres, une dérive amoureuse au coeur d'une forêt imaginaire et insensée.

Dans le rôle de la femme, Lyne Fortin s'exprime avec l'intelligence et le souffle dramatique qu'on lui connaît. Elle réussit à capter l'attention et à soutenir l'intérêt tout le long des 30 minutes que dure cette oeuvre dense et troublée. Cette performance constitue à mon avis le clou de la soirée.

En première partie, dans Le château de Barbe-Bleue, la basse russe Mikhail Svetlov et la mezzo-soprano hongroise Andrea Meláth forment un duo tout aussi solide, tant sur le plan du jeu que de la voix. D'où je me trouvais, l'équilibre avec l'orchestre semblait excellent. Les accents féeriques et mystérieux de la musique de Bartok trouvaient par ailleurs un écho subtil dans plusieurs détails de mise en scène.

Apparemment, l'OSQ a fait de l'excellent travail sous la direction de Jacques Lacombe, mis à part le cor, dont la sonorité éteinte et fausse pouvait déranger par moments.

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OPÉRA DE QUÉBEC, Le château de Barbe-Bleue de B. Bartok et Erwartung d'A. Schoenberg (v.o. hongroise et allemande avec surtitres français). Mise en scène de Robert Lepage. Assistant à la mise en scène: François Racine. Direction musicale: Jacques Lacombe. Avec Mikhail Svetlov (Barbe-Bleue), Andrea Meláth (Judith) et Lyne Fortin (La femme), accompagnés par l'Orchestre symphonique de Québec. Samedi à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre. Présenté de nouveau demain, jeudi et samedi à 20 h.