C'est une vidéo devenue virale qui a propulsé la carrière de Maggie Rogers, il y a trois ans, sans même que l'auteure-compositrice-interprète l'ait orchestré. Si elle n'a pas eu l'occasion, à l'époque, de vraiment faire les choses à sa façon, l'Américaine a depuis repris les rênes de son destin et conquiert tout sur son passage. Elle était à Montréal vendredi.

La salle de spectacle est comble. Maggie Rogers, sur scène, fait penser à une fusion pop et moderne de Joni Mitchell et Janis Joplin. Cheveux longs, vêtue d'une combinaison zébrée et de bottes rouges, elle chante, danse et se meut avec un entrain magnétique. Il y a de l'électricité dans l'air.

Quelques heures avant le concert, dans le calme qui a précédé la tempête qu'elle a générée entre les murs du MTELUS, Rogers évoquait justement la «mysticité» des instants créés lorsqu'elle monte sur scène, mentionnant elle-même sa fascination pour l'énergie «magique» que des artistes comme Janis Joplin canalisent durant leurs prestations.

«Être sur scène permet de se transcender dans quelque chose de plus grand, dit la jeune femme originaire du Maryland, rencontrée dans sa loge entre deux prises de son. Ça rassemble les gens et leur permet de se rappeler pendant deux secondes que peu importe [leur] opinion sur la politique économique, ça arrive à tout le monde d'être triste parfois. C'est important, ces temps-ci.»

Un album pour la scène 

Avec empathie et passion, Maggie Rogers veut établir un contact avec son public, dit-elle, après avoir échangé avec nous quelques mots en français. La chanteuse de 24 ans a étudié et voyagé en France un temps, nous apprend-elle. L'entrevue se fera en anglais, toutefois - «je ne veux pas me rendre compte après que je n'ai pas utilisé les bons mots», plaisante Rogers.

Cela fait maintenant plusieurs mois qu'elle et son groupe sont sur la route. Ils ont vu l'Europe, une bonne partie des États-Unis et amènent maintenant leur musique dans quelques villes du Canada. Depuis que l'album de Maggie Rogers Heard It in a Past Life est sorti, en janvier dernier, ils présentent toutes ces nouvelles chansons créées grâce à «une curiosité très profonde face au monde et un désir très intense de comprendre les choses».

Diplômée de la New York University (NYU) en production musicale et enregistrement, l'interprète a apporté un grand soin à la conception de son premier véritable album, ne laissant pas au hasard le potentiel de transposer ses refrains dans un arrangement pour concert. «Je pense que tous les albums d'un artiste sont formés par sa dernière expérience», explique Rogers. 

«Mon microalbum [Now That the Light Is Fading, sorti en 2017] était fait pour être écouté dans une chambre à coucher, parce que c'est là que je l'ai conçu. Ensuite, je suis partie en tournée et j'ai voulu faire des chansons qui seraient amusantes à jouer devant public.»

La fameuse vidéo

Maggie Rogers a grandi dans le bourg rural d'Easton en écoutant de la musique classique, du folk, de la musique indie, de la soul, en jouant de la harpe dans un orchestre au secondaire, puis de la guitare, du piano, du banjo. La mélomane aux taches de rousseur a touché à tout, musicalement parlant. Pour elle, «les genres musicaux sont des façons différentes de communiquer, mais les chansons sont toutes les mêmes». À l'université, elle est devenue passionnée de musique «dance», que l'on retrouve sur son opus, tout en étant membre d'un groupe punk, l'un des nombreux groupes dans lesquels elle a joué (du rock à l'électro).

Et c'est alors qu'elle était en voie de terminer ses études à la NYU que la célébrité lui est tombée dessus.

En 2016, une classe de maître durant l'un de ses cours de l'Institut Clive Davis, avec Pharrell Williams, lui a permis de faire écouter l'une de ses créations au producteur aux mille et un succès. Dernière du petit groupe d'étudiants à s'asseoir à côté de Williams pour entendre ses remarques, Maggie Rogers a fait jouer sa chanson Alaska, composée dans le cadre de son projet de fin d'études.

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Sur scène, elle fait penser à une fusion pop et moderne de Joni Mitchell et Janis Joplin.

Le reste de l'histoire est bien connu. Pharrell a été stupéfait par ce qu'il a entendu. Et tout a été filmé, de son air abasourdi aux commentaires d'admiration qui ont suivi l'écoute. Peu de temps après, sans que Rogers le sache, la vidéo de la classe de maître a été mise en ligne. L'internet a alors fait ce qu'il fait de mieux, il s'est enflammé. Du jour au lendemain, des millions de personnes ont découvert Maggie Rogers et tout le monde l'adorait.

«Une porte s'est ouverte et j'ai décidé de la franchir», raconte-t-elle. Les chansons destinées à son projet de fin d'études se sont retrouvées sur un microalbum (EP), qu'elle a lancé peu après la «vidéo Pharrell». Mais «le microalbum n'était pas censé être un microalbum», confie-t-elle. «C'était le début d'un album. Et tout d'un coup, mon monde a explosé et je devais sortir de la musique.»

Tout de suite, un tourbillon médiatique s'est formé, une tournée s'est rapidement amorcée et Rogers a été entraînée dans une vie de «surstimulation» qu'elle n'avait pas anticipée.

Retour en force

Assise au fond d'un petit sofa, dans sa loge, Maggie Rogers ravive les souvenirs de cette «folle» année et demie, après laquelle elle a eu à se retirer de la frénésie qui bouillonnait autour d'elle, pour l'«encaisser» (et «beaucoup dormir»), puis mieux revenir.

«C'était une période pendant laquelle la ligne entre ce qui me faisait peur et ce qui me rendait le plus heureuse était très, très fine», raconte-t-elle.

«C'était très déroutant: tous mes rêves se réalisaient, mais j'étais en même temps en train de me demander: "Est-ce que c'est vraiment ce que je veux?"» - Maggie Rogers

Tout cela a inspiré Heard It in a Past Life, conçu en quatre mois à son retour d'Indonésie et de France, où elle était partie reprendre son souffle. Dans sa chambre d'enfant, chez ses parents (la vie de tournée ne lui a pas encore permis de trouver son chez-elle, après l'université), là où elle a commencé à écrire quand elle avait 12 ans, elle a posé sur papier les premières chansons de son album, qui s'est hissé à sa sortie au deuxième rang du classement Billboard. Elle s'est d'ailleurs entourée d'un groupe de producteurs habitués au haut du palmarès pour le créer, Greg Kurstin, Ricky Reed ou Rostam, notamment.

Lorsque le monde l'a «découverte», il en connaissait si peu sur elle qu'il a décidé qui elle était, comme un début de phrase qu'il a complétée à sa guise, fait valoir Rogers. «Une des choses exaltantes avec la sortie de [Heard It in a Past Life], c'est que je peux maintenant parler pour moi-même et parler en phrases complètes», soulève-t-elle.

Avant d'enfiler sa tenue de scène, vendredi, Maggie Rogers, décontractée, était vêtue d'un simple t-shirt et du pantalon tie-dye qu'elle portait lors de sa prestation sur le plateau de l'Ellen DeGeneres Show, en janvier. Quelques semaines plus tôt, c'était sur les planches de l'émission populaire Saturday Night Live qu'elle avait interprété deux de ses récents titres. Des festivals (Coachella, Woodstock, Lollapalooza) affichent déjà son nom pour l'été prochain, tandis que sa tournée la mènera dans les prochains mois en Océanie et de nouveau en Europe.

Bref, si tout a commencé par un heureux, mais déstabilisant, concours de circonstances, Maggie Rogers poursuit maintenant sur sa lancée à sa façon. Et ça lui réussit.

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Elle a notamment interprété les chansons de son album Heard It in a Past, sorti en janvier dernier.