Avec Soliloquy, Lou Doillon nous confirme que sa carrière musicale n'est pas un accident de parcours. L'auteure-compositrice-interprète a trouvé sa place, sur la scène comme en studio. Rencontre avec une créatrice qui s'affirme de plus en plus.

Lou Doillon aurait pu avoir un choc en débarquant à Montréal en pleine tempête, dans une ville à moitié désertée. Mais le froid, le vent et la neige n'ont plus de secrets pour celle qui a enregistré son précédent album, Lay Low, dans un studio du Mile End en plein hiver.

Quatre ans plus tard, Lou Doillon nous emmène ailleurs avec Soliloquy, un album qu'on ne peut dissocier de la prise de parole forte et assumée des femmes ces dernières années, dans la foulée du mouvement #metoo. Un album où la guitare acoustique a cédé la place à la guitare électrique, à la batterie et aux synthés, et où la chanteuse est au premier plan, plus rock, plus incarnée. «En rentrant en studio, je me suis demandé comment je pouvais sortir d'un certain confort, explique-t-elle. Je ne voulais plus être dans quelque chose où on demande aux gens de se taire parce que je vais chanter [rires]. J'ai 36 ans, j'ai un fils qui sera bientôt majeur! Si je monte sur scène, c'est parce que j'en ai envie et il faut que je l'assume.»

Lire puis écrire

Lou Doillon est une grande lectrice et cette passion nourrit son travail d'écriture. Pour Soliloquy, elle s'est abreuvée entre autres à Simone de Beauvoir, Sylvia Plath, Dorothy Parker, Patti Smith... La jeune femme revisite ses classiques et emprunte la voix de ses auteures préférées pour parler des moments suspendus de la vie, de ses zones grises, de ses contradictions. 

«La littérature a toujours été présente dans ma création, mais cette fois-ci, je l'utilise comme rempart.»

Elle s'explique: «Je suis un peu vexée, en tant que femme, que notre travail de création soit systématiquement lié à l'intime. On ne vient jamais faire chier les hommes là-dessus, mais quand c'est une femme qui écrit, ça relève tout de suite du journal intime. Comme si l'écriture d'une chanson n'était pas du travail, mais un petit hobby que je fais le soir, comme du tricot. Je me suis donc nourrie et entourée des textes des femmes que j'aime et que j'admire. À travers elles, à travers leur prisme, je parle bien sûr un peu de moi.»

Dans la chanson All These Nights, par exemple, c'est la Pénélope d'Homère que Lou Doillon fait revivre. «J'ai essayé de lire Ulysse de Joyce pour la 50fois et je n'y arrive toujours pas, donc j'ai relu L'Iliade et L'Odyssée. Ça m'a fait penser à un poème génial de Dorothy Parker qui parle d'Ulysse parti à la guerre et qui se termine ainsi: "They will call him brave." J'ai écrit le premier couplet en me disant que c'est finalement elle, Pénélope, la plus courageuse, car c'est celle qui attend, et c'est un cauchemar.»

Frissons

Selon Lou Doillon, c'est la chanson Flirt qui donne la tonalité à l'album Soliloquy - une pièce qui met en valeur la voix, la batterie, «un moment de guitare fou» et des claps en hommage à Étienne Daho. Mais c'est sans aucun doute la ballade It's You qui séduit et suscite des frissons dès la première écoute. Un duo envoûtant avec Cat Power dont Lou Doillon parle avec émotion. «Chan est quelqu'un d'important dans ma vie, confie la chanteuse. J'adore sa voix et ses textes. Elle est à deux doigts de devenir une légende, mais elle fait encore partie des humains.»

Comme les horaires chargés de Cat Power n'ont pas permis aux deux femmes de se retrouver dans le même studio, elles se sont échangé la chanson à la manière d'un cadavre exquis. «Je lui ai envoyé les textes avec deux photos de Dorothea Lange montrant ces femmes durant la dépression américaine. Elles ont un tel regard de défiance et de fierté. J'ai dit: "Voilà, cette chanson, ce n'est pas une histoire d'amour triste, c'est une chanson sur la joie d'avoir su aimer. On marche sur des rails de chemin de fer, il y a un peu de soleil, il fait chaud." J'ai ajouté qu'elle pouvait la produire comme elle voulait. Quand j'ai reçu le premier enregistrement, j'ai dû me cacher dans mon bain tellement j'avais peur. Quelle a été ma surprise d'entendre la chanson. Elle avait placé sa voix de manière tellement étonnante, en étant partout et nulle part à la fois, comme le fantôme de cet amour.»

Lou des villes, Lou des champs

Pour réaliser ce troisième opus, Lou Doillon s'est entourée de personnalités fortes qu'elle décrit comme étant ses extrêmes masculins. D'un côté Benjamin Lebeau, du duo The Shoes, un intense qui travaille dans un entrepôt abandonné, la nuit de préférence. Et Dan Levy, du groupe The Dø, un cérébral qui préfère créer en solitaire, à la campagne. Elle a aussi réalisé quatre chansons avec son complice, le claviériste Nicolas Subréchicot.

«Je sais m'entourer de gens qui ne vont pas me rendre la vie facile, mais qui vont m'emmener dans des endroits où j'aurais été incapable d'aller seule.»

«Avec Benjamin, il y a une folie qui me plaît, une générosité que j'admire énormément, poursuit-elle. Mais il y a aussi une forme de violence, quelque chose d'un peu masculin que j'ai dû calmer.»

Nouvelle énergie

Les répétitions pour la prochaine tournée qui emmènera Lou Doillon à Montréal l'été prochain ont commencé. La chanteuse réalise qu'elle devra entrer dans une énergie différente de celle de ses précédents spectacles.

«C'est impossible de faire Burn ou Soliloquy en live si je ne suis pas super costaud, reconnaît-elle. Il n'y a pas une chanson de cet album que je peux faire si je me sens fragile. Ça m'amuse de voir le piège que je me suis moi-même tendu. Dans ces chansons, il y a peu d'instruments qui me mettent dans une zone de confort. Je suis un peu seule et j'ai intérêt à tenir ma voiture, il n'y a pas de petit bord de route sympathique pour m'arrêter. Il faut y aller en 4 x 4... mais le paysage est merveilleux.»

Lou Doillon sera en spectacle au MTELUS le 3 juillet prochain dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal.

Rock. Soliloquy. Lou Doillon. Universal.

Image fournie par Universal

Soliloquy, de Lou Doillon

Des chansons en images

Lou Doillon a dessiné un tatouage éphémère pour chaque chanson de son nouvel album.

Brother 

Pour Brother, elle a imaginé un marionnettiste qui tire les ficelles, une métaphore qui évoque, selon elle, l'état du monde.

Too much 

Avec les lunettes en forme de coeur, elle a voulu traduire l'exubérance de Too Much, et rendre hommage à Elton John par la bande.

Image fournie par Universal

Le tatouage éphémère représentant la chanson Too Much