Sans faire de bruit, le comédien Bruno Marcil mène une fructueuse carrière théâtrale. Alors que son degré de popularité s'apprête à exploser grâce au petit écran, il lance en toute discrétion Les marches lentes, un album de chansons sombres qui font du bien.

«De l'attention, j'en ai déjà en masse», dit Bruno Marcil qui, au début, ne voulait même pas accorder d'entrevue à propos de ce deuxième album, qui était prêt depuis trois ans et qui arrive... 12 ans après son premier, Pas dormir.

«Je ne voulais pas faire la même chose qu'en 2006. J'étais beaucoup dans ce rapport à l'époque: écoutez-moi, c'est bon, ce que je fais! Mon disque avait été bien reçu, mais j'avais toujours le feeling de devoir me prouver. Mais faire la première partie de Charlebois, ce n'est pas le fun! Tu essaies de montrer à du monde qui n'est pas là pour t'écouter que ce que tu fais, c'est intéressant...»

Attablé à un café du Mile End, le comédien-chanteur parle de ce nouvel album comme d'un enfant qu'il faut laisser partir pour l'école, avec un mélange de fierté et d'inquiétude. Il évoque avec intensité la peur qu'il a eue de ne plus jamais réussir à faire de musique - «Quand j'ai commencé à vendre mes guitares, ça m'a fait mal...» -, son désir d'être fidèle à sa démarche - «Je voulais faire quelque chose de moins touffu, avec des tounes qui se tiennent guitare-voix» - et la réaction surprenante des gens qui ont écouté son nouveau disque depuis sa sortie il y a quelques jours.

«Beaucoup m'ont dit que je leur faisais du bien.» Les marches lentes est pourtant un disque sombre, de couleur «bleu foncé», dans lequel l'auteur-compositeur-interprète parle sans pudeur de ses combats et de ses interrogations - sur l'alcool, les difficultés de couple, la beauté des enfants qui grandissent, la peur de passer à côté de sa vie, la difficulté de communiquer, la mort.

«Moi, il me fait du bien, cet album, je me console et je me berce avec. La musique me permet de nommer les choses, de rendre la vie plus facile en les transformant en beauté. Mais ces chansons qui parlent de choses du quotidien, elles sont faites dans une idée de partage, pour que celui qui boite se sente moins seul. Amener une chaleur à la collectivité, prendre soin des gens.»

Bruno Marcil aime la profondeur de la musique triste. Sufjan Stevens, Emma Louise, c'est ce qu'il écoute à la maison.

«On fait souvent cas de la noirceur dans la musique, mais jamais en littérature ou au théâtre, alors qu'il y en a beaucoup plus. Moi, je trouve que des tounes le fun, il y en a en masse! Alors je laisse la place à ceux qui le font bien.»

Le chanteur, qui trouve que «des winners, il y en a assez, il y en a trop!», prend ainsi le parti pris de la vulnérabilité et de la fragilité exposées à tous. Réalisé par Philippe Brault, qui est aussi le seul autre musicien du disque, Les marches lentes est réellement dépouillé. La mise à nu y est totale, autant dans la musique aux accents folk, la voix chaleureuse, grave et sans artifice que dans les textes crus et simples.

«C'est une écriture super concrète et directe. L'idée est d'être le plus vrai possible. Sincère.» Sa fragilité et sa vulnérabilité sont ainsi son principal matériau, comme lorsqu'il joue au théâtre.

«Ça demande la même sensibilité. La grande différence quand je compose, c'est le côté méditatif qui est nécessaire pour laisser monter les chansons. Comme comédien, je dois m'installer dans le texte d'un autre, aller dans un rythme qui n'est pas le mien.»

Lentement mais sûrement

Si l'histoire de ce disque ressemble à sa carrière - lentement mais sûrement -, la vie de Bruno Marcil risque de changer du tout au tout en janvier lorsque la série Les invisibles, dans laquelle il tient le premier rôle, commencera à être diffusée à TVA. Le contraste avec la sortie sans tambour ni trompette des Marches lentes n'en sera que plus grand.

«Je le sais. C'est pour ça que je l'ai sorti avant. Je ne voulais pas avoir l'air d'en profiter ou d'être celui qui veut toujours qu'on s'occupe de lui.» Il le sait, tout va basculer en janvier. Mais à 46 ans, il se sent prêt.

«Tout le monde va me reconnaître. Je n'ai jamais eu cette soif, mais c'est une chance que ça arrive maintenant et pas avant.» 

Mais pourquoi le faire, alors? «Parce que j'ai ce talent, pour découvrir de nouvelles personnes, pour me découvrir plus. C'est un projet extraordinaire qui me permet de prendre de l'ampleur comme artiste.»

Les invisibles est une comédie, mais son personnage reste complexe... comme lui. «Au début de l'entrevue, tu m'as demandé si j'allais bien. Mais oui, je vais bien, je ne suis pas déprimé! Sauf qu'il y a des moments où on peut aller dans des zones sombres.»

C'est pourquoi ce portrait qu'il fait de lui dans Les marches lentes, alors que les chansons datent tout de même de quelques années, lui ressemble toujours.

«J'écrirais la même chose aujourd'hui: les mêmes écueils, les mêmes dangers, le même amour, la même lumière. Car il y a de la lumière aussi! Le bonheur d'être avec mes filles, l'amour pour ma blonde qui est total. En même temps, câlisse que c'est dur de rester en couple avec des enfants! Tout ça, c'est encore juste.»

A-t-il l'impression d'avoir changé en vieillissant? «Je me dépose peut-être un peu. Je me mens moins.» En tout cas, c'est clair qu'il n'a rien perdu en intensité. «Non.» Il fait une pause. «Je ne sais pas, ostie. Je ne sais pas.»

Chanson. Les marches lentes. Bruno Marcil. Indépendant.

Image fournie par l'artiste

Les marches lentes