Il a 24 ans, vient de la banlieue de Québec, adore les dictionnaires et chante tous les étés rue Saint-Jean. S'il a décidé de se faire appeler Jérôme 50, c'est «naturellement, avec une Labatt 50 dans les mains». Il lance vendredi son premier album intitulé La hiérarchill. Rencontre avec une bibitte rare qui ne manque pas d'ambition.

La hiérarchill

«Faut pas travailler trop trop fort pour monter dans la hiérarchill»: c'est le refrain de la chanson-titre du premier album de Jérôme 50, hommage aux «chilleurs» qui refusent le système néolibéral dans lequel on vit, explique-t-il. «C'est un refus collectif d'une partie de la jeunesse. Je regarde mes amis de la banlieue de Québec qui n'ont pas fini leur cégep ou qui étudient et s'en foutent, qui consomment de la drogue ou de l'alcool et qui font du skate, ce sont en sorte des révolutionnaires qui refusent catégoriquement cette affaire-là.» Les «chilleurs» sont les leaders de la prochaine Révolution tranquille, estime l'ancien étudiant en enseignement du français, qui a abandonné lorsqu'il a constaté que les facultés d'éducation ne faisaient que reproduire l'ordre établi. Donc, il ne sera jamais prof? «Non, mais ministre de l'Éducation sous un gouvernement de Québec solidaire, certainement!»

La banlieue

C'est en pensant à ses amis de la banlieue de Québec que Jérôme 50 - de son vrai nom Jérôme Charette-Pépin - a écrit son disque. «J'avais un grand mépris pour la banlieue et son modèle américain que j'ai fuis tout de suite après le cégep. Avec ce disque, je voulais renouer avec cette image laide, faire de quoi de beau et éclaté.» Ainsi, la chanson Skateboard se déroule dans une côte de L'Ancienne-Lorette, d'où il vient. Wéke n' béke, dans le parc à côté du cégep de Sainte-Foy. «Les films qui se déroulent dans ma tête se passent en banlieue, pas au centre-ville avec les gauchistes intellos.»

La rue Saint-Jean

Jérôme 50 chante dans le Vieux-Québec, rue Saint-Jean, depuis l'âge de 17 ans. «J'y chantais encore la semaine dernière. La musique de rue m'a permis de me payer de la 50, mon appartement et des livres d'école.» Avec son «set-up de one-man-band», il chante des reprises et attire les foules. «Ça varie, mais c'est allé jusqu'à 150, 200 personnes. J'ai développé une aptitude à faire le clown et à donner un show. Chaque hiver, je m'ennuie de la rue. C'est real: il y a des familles, des enfants qui dansent, des punks, des pompiers, un commerce qui met de la musique. Après tu me donnes une première partie d'Émile Bilodeau aux Francos, à l'Astral, c'est tranquille!»

La langue

Après avoir abandonné son bac en éducation, Jérôme 50 s'est dirigé vers la linguistique. «J'ai un amour pour la langue depuis longtemps. J'aime plus les mots que la littérature.» C'est en utilisant le langage de la rue qu'il a choisi d'écrire ses chansons. «On ne peut plus être vieux jeu», dit l'auteur-compositeur-interprète, qui estime qu'il faut parler aux jeunes «pour de vrai». «Les jeunes sont pas caves. Jean Leloup, Dédé Fortin, Plume, Adamus, Émile Bilodeau, on veut du monde qui parlent real. Linguistiquement, ils font un portrait de la réalité. Mes cours en linguistique m'ont permis de me positionner face à la langue. Quand je dis "malbuzzé" ou "wéke n' béke", ces mots, je les entends, je les emploie au quotidien.» Dans Sexe, drogue, ceri$e$ et rock n'roll, il s'amuse même à inventer des adverbes, comme «transcanadiennement». «La langue est un produit humain. C'est comme de la pâte à modeler, tu fais ce que tu veux avec.»

Richard Desjardins

L'influence de Richard Desjardins est palpable dans ce premier disque, où on sent des effluves autant du Chant du bum que de Tu m'aimes-tu. «Pour moi, c'est un modèle, admet le chanteur. J'ai même déménagé à Rouyn-Noranda pour découvrir son univers, pour entendre "la fonderie qui rushe". Et je l'ai entendue.» Desjardins aussi a écrit en vernaculaire, ce qui n'a pas empêché ses chansons de devenir des classiques, estime le chanteur. «Moi aussi, je veux faire de la musique indémodable. Je veux que dans 100 ans, on écoute encore mes chansons. Desjardins a réussi ça.»

La musique

Pour Jérôme 50, tout commence par les refrains. «Par exemple, celui de Prendre une douche est né quand je me promenais dans la rue à Rouyn-Noranda. Après, ça m'a pris un an écrire les couplets.» Ses influences sont nombreuses, mais le lien entre les différentes chansons reste davantage poétique. «La musique, je m'en fous. J'ai dit à Philippe Brault, mon réalisateur, que je voulais faire un album de chansons, que je voulais les faire briller avec l'enrobage qu'il fallait. Il a fait une super job, les musiciens aussi. C'est un travail collectif.»

Québec

Hubert Lenoir, Les louanges, Anatole, les jeunes chanteurs talentueux venant de Québec sont nombreux à émerger. Comment l'explique-t-il? «Je ne suis pas aux premières loges du film, mais je dirais que le maire Labeaume a changé le portrait. Il a fait de bonnes choses, mais il a aussi créé un système pour que les jeunes arrêtent de se poser des questions. Tout est fait pour calmer nos passions, mais ça ne marche pas. C'est ça qui bouillonne chez les jeunes artistes, on aspire à de grandes choses. Québec s'en vient, tassez-vous de là, mon chum. On a de quoi à dire. On est peut-être le nouveau Plateau Mont-Royal...»

La suite

Jérôme 50 fera quelques premières parties au cours de l'automne, et partira en tournée le printemps prochain. «On est en train de monter le show. Ce sera un genre de camp de vacances, un show ludique.» D'ici là, il compte sur sa maison de disque, Dare to Care, qui s'occupe entre autres de Coeur de pirate, pour faire circuler ses chansons. «Je ne suis pas pressé. Quand je pense à la chanson Moisi moé'ssi, c'est un peu le modèle de succès auquel j'aspire. Elle a fini par s'inscrire dans l'imaginaire québécois 10 ans après la sortie du premier disque de Fred Fortin.» Pense-t-il retourner chanter dans la rue Saint-Jean? «Je suis un peu tanné. Non, l'an prochain, je fais les plaines d'Abraham!»

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La hiérarchill. Jérôme 50. Dare to Care Records.

Image fournie par Dare to Care Records

La hiérarchill, de Jérôme 50