Plusieurs fois cet été, La Presse vous présente des frères et soeurs de création. Cette semaine: les soeurs Ines et Elkahna Talbi.

Lors des récentes FrancoFolies, Ines Talbi a mis en scène le spectacle hommage à Pauline Julien, La Renarde, en dirigeant de nombreuses artistes, dont sa soeur Elkahna. Pourtant, quelque trois décennies plus tôt, les rôles étaient inversés.

Très jeune, Elkahna Talbi a pris goût à la création de spectacles. Surtout après la naissance de sa soeur. «C'était calme pendant cinq ans, et je suis venue foutre le bordel, lance Ines en riant. Je crois que l'art a été sa façon de s'approprier qui elle était. J'ai été son public et l'actrice de plusieurs de ses projets.» Avec un sourire complice, Elkahna abonde dans le même sens. «Je me suis beaucoup servie d'Ines comme poupée.» Celle-ci la corrige aussitôt. «J'étais ton cobaye! Mais, j'ai surtout été inspirée. Je voulais faire les mêmes choses qu'elle.»

Ainsi, quand Elkahna a commencé les cours de théâtre, Ines a rapidement suivi. «De retour à la maison, on pratiquait nos trucs ensemble», se souvient Ines. Des années plus tard, les deux soeurs, ainsi que leur cousine Leïla, également comédienne, passent souvent des auditions pour les mêmes rôles. «On dit toujours, pourvu que ça reste dans la famille», s'amuse Elkahna.

Fascinées par toutes les facettes de la création, elles sont toutes deux devenues metteures en scène. «Ça, c'est quelque chose que j'ai volé à ma soeur, révèle Ines. Quand je pense à une oeuvre, je la pense totale. Peut-être parce que notre imaginaire était tellement intense quand on était jeunes.» Chez les Talbi, les jeux vidéo et la télé étaient délaissés au profit du jeu et de la création. «On a écrit nos histoires et on s'est construit nos univers», ajoute-t-elle.

Malgré leurs points communs, les fondatrices de la compagnie Les Berbères Mémères ont une personnalité artistique qui leur est propre. Ines est auteure-compositrice-interprète, alors qu'Elkahna pratique le spoken word. Deux chemins qui ne dénotent pourtant pas une volonté de se démarquer l'une de l'autre. «On encourage nos différences et nos similitudes», répond Ines.

Elkahna précise toutefois qu'elle n'oserait pas chanter sur scène comme sa soeur, à qui elle attribue une forte présence scénique depuis toujours.

«À 3 ans, elle dansait dans une fête tunisienne et je m'étais dit: "O.K., je pense que j'ai perdu mon spotlight!" C'est une show-woman dans l'âme. Quand elle chante, c'est le paroxysme de tous ses talents: elle se met en scène, elle interprète le texte et elle a une voix incroyable!»

De son côté, Ines est convaincue qu'elle aurait l'air d'une pâle copie de sa soeur si elle s'adonnait au slam. «C'est un pays à elle. Je l'appelle la Clémence DesRochers 2.0. C'est une actrice qui raconte, une poète et une militante. C'est Elkahna Talbi!»

En fait, si l'une des deux avait plus de succès que l'autre, leur relation n'en serait pas touchée. «Ines a été reconnue par le milieu avant moi et j'étais extrêmement contente pour elle, souligne Elkahna. Je crois foncièrement que chaque personne a son chemin. Et je suis un peu maman: ma fierté à son égard est beaucoup plus grande que la rivalité qui existe entre certains frères et soeurs. Si ça se passe bien pour elle, ça se passe bien pour moi.»

Puisqu'elles vivent dans le même immeuble, il n'est pas rare que les soeurs se visitent, que ce soit pour socialiser ou pour demander une opinion sur un projet. «Ines connaît mon écriture et mes patterns, dit Elkahna. Elle est capable de me dire si j'ai pris le chemin facile.» 

La cadette est toujours partante pour soutenir sa soeur. «Dès qu'elle fait quelque chose, je lui demande si elle a besoin d'aide. Je peux être sa deuxième lectrice, la mettre en scène ou la pousser à aller dans une zone encore plus indescriptible.» D'ailleurs, Ines ne se gêne pas pour utiliser la connaissance intime qu'elle a de sa soeur. Dans La Renarde, elle a demandé à Elkahna de chanter. «Si j'avais été quelqu'un d'autre, je lui aurais peut-être demandé de seulement faire sa comédienne et sa slameuse, mais je sais qu'elle chante bien, explique-t-elle. À son mariage, elle a chanté Sunday Kind of Love d'Etta James, et ça torchait! Ça a confirmé ce que je pensais de son talent. Elle ne pouvait plus me dire que je l'avais juste entendue dans les karaokés. Malgré l'anxiété que ça lui crée, je sais qu'elle a du fun!» 

Quand on leur demande si elles ont un projet commun à venir, la réponse fuse. «Il y en a 40 000 et aucun à la fois, lance Elkahna. On sait qu'on va travailler ensemble, que c'est facile et agréable, mais il n'y a rien de concret encore.»

PHOTO ALEXIS AUBIN, collaboration spéciale

Ines Talbi (à droite) a mis en scène le spectacle hommage à Pauline Julien, La Renarde, en dirigeant de nombreuses artistes, dont sa soeur Elkahna (au centre) et Erika Angell.