GrimSkunk a lancé hier son neuvième album, Unreason in the Age of Madness. Le pilier de la scène alternative du Québec dans les années 90 a vu l'industrie de la musique se transformer, mais il a gardé son esprit «do it yourself». Entrevue d'hier à aujourd'hui avec Joe Evil, Vincent Peake et Franz Schuller.

Comment le groupe s'est-il formé?

Franz Schuller: Il s'est formé des cendres de notre premier groupe hardcore, Fatal Illness, avec un premier jam en novembre 1988. On donnait des shows dans un bar de Montréal qui s'appelait Rising Sun.

Vincent Peake: C'était un bar reggae, le seul qui présentait des shows hardcore.

Joe Evil: On a décidé de faire de la musique moins limitée au punk.

Franz Schuller: On fumait un bat, on faisait un jam ouvert et on l'enregistrait. Il y avait des influences de rock progressif, de ska, de punk...

Vous vous souvenez du premier spectacle de GrimSkunk?

F. S.: Mai 1989 à Saint-Hyacinthe.

V. P.: J'y étais pour passer des flyers pour Groovy Aardvark. Je n'avais aucune idée de qui était le groupe. J'ai été épaté par la qualité des chansons et par le fait que le groupe ratissait large dans plein de styles différents. Tout de suite, j'ai voulu devenir ami avec eux... On a fait un super show devant 700 personnes au cégep Édouard-Montpetit. Ensuite, on a participé à la vague de la scène alternative au Québec avec B.A.R.F., Anonymus...

C'était comment, l'époque pré-internet de «passer des flyers» avec peu d'appui des médias traditionnels?

V. P.: Nous avions un réseau humain de jeunes qui distribuent des flyers un peu partout en échange de billets gratuits: à Beloeil, Saint-Hyacinthe, Saint-Lambert... C'est comme ça que le mot se passait. Il n'y avait pas tant de groupes dans ce temps-là, donc, quand il y avait un show à Saint-Jean-sur-Richelieu, les jeunes y allaient ! C'est là que tu découvrais de nouveaux groupes.

Il y a 30 ans, pensiez-vous sortir votre neuvième album en 2018?

F. S.: Pas du tout. Je ne pensais pas que la musique alternative allait exploser cinq ans plus tard. Nos références étaient encore The Sex Pistols et The Clash. Je ne pensais jamais qu'un groupe comme Nirvana pouvait devenir aussi populaire. Même nous, avec notre musique un peu métal, je ne pensais pas qu'on pourrait jouer devant des milliers de personnes à Montréal et Matane.

Vos membres sont à la fois anglophones et francophones. C'était rare à l'époque?

J. E.: Il y avait une solitude. La solitude de la scène punk!

V. P.: Au départ, le punk était très anglo-montréalais, mais des francophones ont embarqué. [...] Il y avait une solidarité... Me Mom and Morgentaler nous a invités à donner des spectacles au Rialto.

F. S.: Puis nous, à cause de nos membres et de notre côté hippie, on a écrit naturellement des chansons bilingues.

C'était la belle époque?

V. P.: Tu sentais qu'il se passait de quoi et qu'on répondait à une demande.

F. S.: En 1994, on a décidé de faire une soirée alternative avec Groovy Aardvark et Les Bons à Rien au Spectrum. C'était archiplein. C'est là que Laurent Saulnier a écrit son article dans le Voir avec «Réveillez-vous» comme titre.

Êtes-vous nostalgiques?

J. E.: Je peux être nostalgique de la vente d'albums.

F. S.: Je suis nostalgique de l'époque où les gens sortaient tout le temps pour tout. Aujourd'hui, tout le contenu offert sur les appareils mobiles garde les gens sur leur cul.

V. P.: On sentait qu'on faisait partie d'un univers parallèle qui ralliait des gens aux idées anticonformistes.

F. S.: Je suis aussi nostalgique de l'exposure que le rock avait à l'époque. Les gens écoutent maintenant du rap, de l'électro...

J. E.: Avant, il y avait toujours un band qui arrivait et qui faisait bang. Nirvana, Green Day, The Offspring, Rage Against The Machine, Soundgarden... À Montréal, il y avait Anonymus, Les Vulgaires Machins, Overbass, B.A.R.F...

C'était l'underground?

F. S.: C'était comme une tribu. Je me souviens très bien quand Groovy Aardvark a eu sa chanson Dérangeant à CKOI en 1996. Des gens étaient frustrés. Comme s'ils perdaient leur appartenance sociale.

Parlons du nouvel album. Vous avez travaillé de nouveau avec le réalisateur Garth Richardson, associé à Rage Against The Machine.

V. P.: Il est venu à Montréal écouter les chansons, mais nous n'étions pas prêts. Il nous a virés de bord. Il avait raison.

F. S.: Il fallait travailler les thématiques des chansons. Leur «heart and soul». Au final, l'album est meilleur et accompli. Il y a encore un côté rock hippie, mais les paroles sont engagées. Quand tu es avec le gars qui a fait le meilleur album rock engagé de l'histoire - le premier de Rage Against The Machine -, tu ne peux pas faire autrement. C'est Garth qui a convaincu Rage de garder le «Fuck you I won't do what you tell me!» [dans la chanson Killing in the Name], alors que le label ne voulait pas.

Parlez-nous de votre chanson Let's Start a War.

F. S.: On se sent interpellés par le racisme, le sexisme, l'homophobie, la montée de la droite égomaniaque avec les Trump et Poutine. Cela vient de notre côté punk, mais aussi hippie. Le « peace and love », c'est important.

Franz, vous avez fondé le label Indica (Half Moon Run, Valaire). Faut-il être fou pour avoir un label en 2018?

F. S.: Oui, mais la musique reste centrale dans la vie. C'est nécessaire au bonheur, à l'équilibre et à la survie des gens.

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PUNK. GrimSkunk. Unreason in the Age of Madness. Indica.

Photo fournie par Indica

Unreason in the Age of Madness