Si tant de mélomanes québécois et canadiens apprécient la tessiture du contre-ténor, c'est en grande partie grâce à Daniel Taylor. Suave et incarnée, sa voix haut perchée nous envoûte depuis plus de deux décennies, et ce, à travers une quarantaine d'albums.

De surcroît chef de choeur rigoureux et respecté, directeur artistique inspiré, véritable leader esthétique, le chanteur canadien est à la barre du Trinity Choir et du choeur et de l'orchestre du Theatre of Early Music (TEM). Les approches de ces formations consistent à amalgamer les plus belles oeuvres chorales du XVe siècle à aujourd'hui, oeuvres souvent oubliées et remises en lumière... cette fois à Montréal, où il a vécu deux décennies et où il garde un pied-à-terre - il enseigne désormais à l'Université de Toronto, il y réside principalement pour honorer sa tâche.

Le programme de sa prestation dominicale se fonde en bonne part sur la matière tant appréciée d'un album lancé en décembre dernier par le Trinity Choir, soit de la même famille élargie : sous étiquette Sony Classical, le sublimissime The Path to Paradise y soude le présent et le lointain passé.

La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours sera ainsi habitée par les compositeurs Arvo Pärt (1935-), John Tavener (1944-2013), John Sheppard (1515-1558) et Willam Byrd (1540-1623), notamment. Pour Daniel Taylor et ses collègues, cette surimpression d'époques fonctionne parfaitement, bien qu'elle mise d'abord sur une quête musicale aux XVe, XVIe et XVIIe siècles.

« Cette relation avec la musique du lointain passé, explique Daniel Taylor au bout du fil, provient de l'influence qu'exerçait sur moi le regretté Christopher Jackson [fondateur et directeur artistique du Studio de musique ancienne de Montréal]. Je l'ai connu à ma première année d'université, nous sommes devenus amis, nous avons ensuite beaucoup voyagé ensemble. En plus d'être un grand musicien et un grand directeur artistique, Christopher était un homme d'une profondeur exceptionnelle, avec qui on pouvait discuter de tout : actualité, histoire, philosophie, etc. »

Cette relation de Daniel Taylor avec feu Christopher Jackson l'a également incité à intégrer l'humanité dans sa pratique artistique.

«  Ce que je recherche dans le répertoire choral et dans les musiques mises en relief par les ensembles auxquels je suis associé, c'est le facteur humain. Très ancien ou très récent, le chant peut illustrer la persécution et la souffrance, mais aussi l'espoir et la révélation. »

- Daniel Taylor

C'est pourquoi, d'ailleurs, il intègre régulièrement dans ses concerts les musiques de compositeurs contemporains tels John Tavener et Arvo Pärt, dont les concepts rythmiques sont inextricablement liés au rythme cardiaque.

Tavener et Pärt s'avérant de véritables mystiques au XXIe siècle, leur oeuvre peut fort bien se fondre dans un corpus de musiques anciennes, dont l'inspiration était très souvent (sinon exclusivement) religieuse. 

Mais il y a plus encore : « Tant de grands penseurs et concepteurs artistiques s'intéressent aux rituels, souligne Daniel Taylor. En ce qui me concerne, ce n'est vraiment pas facile d'évoquer cette dimension rituelle dans un album de 60 minutes ou dans un concert, mais cela reste possible, je crois. »

TRAVAIL DE RECHERCHE

Les grandes qualités des concerts ou enregistrements de Daniel Taylor résident dans la rigueur de sa quête d'oeuvres à la fois sublimes et obscures.

« Je fouille dans les librairies ou les bibliothèques, la liste de mes découvertes s'allonge au fil des ans, raconte-t-il. Prenons In Monte Oliveti, d'Orlando di Lassus [1532-1594]. Je n'avais jamais entendu cette pièce magnifique avant de la découvrir à la bibliothèque. J'ai aussi visité le mont des Oliviers en Israël. Arrivé sur place, pourtant, ce n'est pas si grandiose... Dans le cas de cette représentation mystique, le trajet importe davantage que l'arrivée. »

Très souvent en tournée, le chanteur et directeur artistique aime diriger des ensembles dont le personnel peut varier autour d'un noyau stable de collaborateurs.

« J'aime que les interprètes, recrutés surtout au Canada, restent frais et alertes tout en s'inscrivant dans une même esthétique sonore. Si nous nous produisons à l'étranger, cependant, nous pouvons y accueillir une part de chanteurs issus des pays où nous nous produisons. »

La facture sonore est primordiale pour Daniel Taylor. « Pour le concept The Path to Paradise, par exemple, j'ai recruté des ténors qui chantent particulièrement haut, ce qui confère au choeur un son d'ensemble conforme à ce qu'avaient en tête les compositeurs du XVIe siècle figurant à notre répertoire. C'est pourquoi, d'ailleurs, on trouve dans ce choeur plus de voix masculines que d'ordinaire. Les sopranos jouent aussi un rôle prépondérant dans l'affaire et ajoutent à la séduction. J'ose croire que nous sommes capables de suggérer une véritable expérience et de toucher les gens. »

__________________________________________________________________________

À la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours le 25 février, 19 h 30, dans le cadre de Montréal en lumière