Constitué de Pierre Guérineau et de Marie Davidson, le tandem montréalais Essaie Pas s'est coulé une réputation béton: signature chez DFA Records, recensions internationales de l'album Demain est une autre nuit (2016).  Et voici le prochain chapitre: New Path, inspiré d'un roman de Philip K. Dick, A Scanner Darkly.

Au début de sa vie adulte, Pierre Guérineau a dévoré ce roman écrit en 1975 par le célébrissime auteur américain, dont le fameux roman de science-fiction Do Androids Dream of Electric Sheep? a servi de base au premier Blade Runner, réalisé par Ridley Scott.

«C'était mon premier roman de Philip K. Dick, relate-t-il. La lecture de A Scanner Darkly coïncidait avec une époque trouble de ma vie. Ça m'avait profondément marqué. Ce livre avait été imaginé après que la femme de l'auteur l'eut quitté. Il s'était retrouvé seul dans une maison de banlieue, il invitait alors des gens de la rue à vivre chez lui. Tout ce beau monde consommait beaucoup de drogues.»

Marie Davidson a elle aussi absorbé A Scanner Darkly - titré Substance mort en français - à une période charnière de son existence.

«Il y a environ trois ans, je vivais un changement important : il me fallait cesser de faire le party à un rythme effréné, réduire ma consommation de substances. [...] Pierre m'a alors suggéré ce livre que j'ai trouvé super bon pour son humour, son cynisme et pour ses thèmes que je trouve encore actuels: paranoïa, dépendance, isolement, crise identitaire.»

La musicienne et performer a alors découvert que Philip K. Dick était «un grand paranoïaque, mais aussi un grand visionnaire».

«Il écrivait toute la nuit, reprend Pierre Guérineau. Ses personnages étaient high, mais leurs propos donnaient une impression de cohérence malgré leur état. L'auteur avait d'ailleurs dédié ce bouquin à tous ses amis suicidés, ravagés, endommagés par la vie. J'ai relu le livre pendant le mixage de l'album, ça me "parlait" encore.»

Poésie brute

On comprendra que Philip K. Dick avait adapté à la trame narrative de ce roman le style propre aux conversations hallucinées de ses pensionnaires givrés... comme lui!

«Quelque part, c'est de la poésie brute, pense Marie Davidson. Tu écoutes parler des gens dans un tel état et tu te dis: "Wow, je n'aurais jamais pu inventer de telles formulations!" C'est pourquoi je me suis mise dans la position d'un personnage de ce roman, en construisant une rhétorique avec des concepts apparemment scientifiques. Si tu écoutes d'une oreille distraite, ça a l'air de se tenir, on te parle d'une théorie possible...»

Elle cite un exemple tiré de la pièce Futur parlé: «Dans quelques années, il ne restera plus beaucoup de gens dans le futur, la plupart des camés seront dispersés à travers le globe... à traîner dans le présent. Quelle horreur!»

«C'est un clin d'oeil au roman, souligne-t-elle, ce n'est pas vraiment sérieux, mais... c'est quand même un peu ça, la réalité! Constamment connectés à internet, accros à leurs appareils, les gens vivent dans une projection futuriste. Le moment présent et le contact direct sont en voie de disparition. Je me mets dans la peau d'un personnage du livre pour formuler des théories qui ne sont pas nécessairement crédibles, mais c'est aussi un peu comment je me sens.»

New Path, qui sort le 16 mars, est un album très différent du précédent, fait observer Pierre Guérineau.

«Demain est une autre nuit était une collection de singles ; on ne voulait pas refaire ça, on voulait sortir du format pop. New Path évoque un roman sans prétendre vraiment à une adaptation audio.»

«On avait un EP au départ; on a vu que les quatre pièces étaient longues, on en a finalement fait deux de plus, ça donne un enregistrement de six pièces longues, répétitives, hypnotiques, poursuit le musicien. On y exploite beaucoup d'échantillonnages, les sons sont traités souvent à partir de nos musiques préalablement enregistrées. Jouer dans les clubs en Europe nous a influencés en ce sens, je crois.»

Le tandem Essaie Pas convient que l'album New Path est plus conceptuel, forcément moins accessible que le précédent car il évacue la forme chanson.

«Nos musiques relèvent cette fois de l'ambient, de la bande originale de film ou télé, du krautrock... On y trouve aussi quelques détails housy, mais notre affaire est surtout techno», soutient Marie Davidson.

En solo

Pierre et Marie mènent aussi leurs projets solos. Marie a tourné plus d'un an après le dernier cycle du groupe, elle a vécu une année entière à Berlin, elle est de retour. De nouveau réuni, Essaie Pas s'installe à Montréal sur une base permanente et prévoit donner un spectacle au Rialto, le 30 mars prochain, dans une soirée avec plusieurs invités : Bernardino Femminielli, Pelada, etc.

Qui plus est, Marie Davidson se produira trois soirs consécutifs à La Chapelle à compter de mercredi prochain avec un projet solo intitulé Bullshit Threshold, qu'elle traduit librement par l'expression «le boutte d'la marde».

«Je l'avais présenté au festival Phenomena en 2016, puis au Sónar de Barcelone en juin 2017. Il s'agit d'un concept multimédia, avec musique, textes déclamés avec une approche théâtrale et images vidéo traitées en temps réel par John Londono et Gonzalo Soldi. Plusieurs caméras me filment en train de jouer et de raconter une histoire.»

D'aucuns croient qu'il s'agit du meilleur spectacle solo de Marie Davidson. Personne ne l'affirme sous influence...

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Essaie Pas est au Rialto le 30 mars prochain; Marie Davidson à La Chapelle du 14 au 16 février.

L'album New Path sort le 16 mars; il est en prévente sur Bandcamp.